Je ne suis pas collectionneur.
Je ne m’attache pas vraiment aux objets.
Que, souvent, je perds.
Par désintéressement.
 
Je conserve peu.
Et ai plutôt tendance.
A me défaire.
A jeter.
 
Je vide.
J’expurge.
J’abandonne.
Je délaisse.
 
J’aime l’épure.
Le net.
Le beau vide.
Le désert.
 
Je préfère l’avant
A l’arrière.
Et l’avenir
Au passé.
 
Mais.
 
Bien sûr.
J’ai des souvenirs.
Beaucoup.
Trop.
 
Ils me poursuivent.
Me rattrapent.
M’encombrent.
De leurs soupirs.
 
Je les ai longtemps gardés.
Clandestins.
Secrets
Pour moi.
 
Je revivais en solitaire.
Des vies
Que j’avais connues.
Ou espérées.
 
Les afficher.
Les exposer.
Me paraissait cependant déplacé.
Presque trivial.
 
Mais, ils s’empilaient.
Emmêlés.
Déformés.
Parés de faux attributs.
 
Avec eux, le quotidien m’échappait.
Etouffé.
Englué.
J’étais accablé de leur poids.
 
Tout passait par eux.
Une phrase m’en rappelait une autre, centenaire.
Une situation m’évoquait un moment, ancien.
Un visage me parlait d’un autre, rencontré il y a longtemps.
 
L’antan me croquait.
 
Je vivais.
Dans le coton de la mémoire.
Dans l’anesthésie du passé.
Dans le romantisme du vieux sentiment.
 
Cet état pouvait certes plaire.
Et sa singularité récurrente
Avoir un charme.
Suranné.
 
Certains me disaient aimer cette composante.
D’autres m’affirmaient apprécier cette façon.
Tous, je m’en doute, me considéraient comme un rescapé
D’un monde fini.
 
Un iguanodon parlant.
Qui traverserait le siècle.
Réitérant le Crétacé.
Et rabâchant le Jurassique.
 
Ça me faisait sourire.
Ça ne me déplaisait pas.
Quelquefois, ça me touchait.
Mais ne me satisfaisait pas.
 
J’avais l’impression.
D’être.
Un zombie d’outre-tombe.
Dont les mots érodés enchantaient le chaland.
 
Il me fallait donc sortir de cette grotte de la remembrance.
Et pour ce faire.
Mettre en scène les oripeaux qui l’affublait.
Pour ainsi les conjurer.
 
Aussi j’écrivis.
 
Je le fis.
Sans relâche.
Sans réfléchir.
Sans réel projet.
 
J’écrivis.
Au vent de la chronique.
De l’arrière-goût.
De l’annale et de la commémoration.
 
J’évoquai.
Je me remémorai.
J’usai les mots du temps
Je peinturlurai des images rupestres.
 
Je m’essayai à des tournures galvaudées.
A des compositions obsolètes.
A des extravagances de dandy.
A un peu de tout.
 
J’abusai d’adjectifs de brocante.
D’adverbes de vide-grenier.
De culture pas toujours de mise.
Et de copiés-collés pour me vouloir moderne.
 
En croyant dire.
En croyant faire.
 
Pour évacuer
Le trop plein.
Et vider le bac dégraisseur.
De la fosse septique de la nostalgie.
 
Mais aujourd’hui l’écriture
Me renvoie à ces contradictions.
Et, sans concession.
Les met en lumière.
 
Les roues patinent dans l’usé.
Le carburateur s’étouffe dans le vieillot.
Et le frein de l’anecdote émoussée.
Bloque le tout.
 
Je me sens capelan de la phrase délabrée.
Moine de l’écriture défraichie.
Sacristain des mots ressassés.
Bedeau de l’antique.
 
Pas vraiment utile.
Non seulement je n’avance pas.
Mais ai l’impression.
De reculer.
 
J’aimerais me défaire de ces brimborions liturgiques.
Sans horizon.
Pour taper dans le dur.
De la vie.
 
Alors ?
Faire autre ?
Redistribuer la parole des cartes d’un bridge désuet.
Pour un poker d’arsouille. ?
 
Sans concession pour ce qui est mort.
Sans complaisance pour ce qui n’est plus.
Avec moins d’indulgence pour l’éteint.
Et plus de rugosité pour ce qui vit.
 
La tauromachie
Peut m’offrit cette lice.
 
Généralement construit.
Pour permettre de contourner un obstacle.
Ou parce que le relief l’oblige.
Le lexique du quotidien appelle ça un virage.
 
Dois-je le prendre ?
En faisant en sorte de ne pas déraper.
Et de tomber dans le ravin.
De la désobligeance ?
 
Je n’en sais rien.
 
Patrice Quiot