BAYONNE
Corrida d’El Montecillo, dont c’était la présentation en France, sérieuse mais aussi et surtout très dure. Des toros distraits, regardant l’homme, coupant leurs charges et se freinant. Ils ont sans doute trompé une partie du public en s’élançant de loin au cheval, mais à la muleta, leur manque de caste fut flagrant et certains se révélèrent intoréables. Mais pas pour Daniel Luque. Sa faena au cinquième fut hallucinante. Qui aurait pu prévoir une telle alchimie entre l’homme et le toro ? Ce dernier avait certes chargé de loin au cheval, comme tous ses frères, mais il n’avait rien voulu savoir à la cape et avait mis en grosse difficulté le troisième banderillero de la cuadrilla. José Chacón s’était joué la peau dans deux paires de banderilles asphyxiantes et fut acclamé par la foule.
Ce qui me surprit en ce début de faena fut l’attitude de Daniel Luque, d’une sérénité totale. Dès la première passe, il y eut la symbiose entre eux. L’enchaînement, la « ligazón, », surgit comme par enchantement, lentement, naturellement. Le toro semblait autre, il baissait la tête, suivait le leurre, toujours plus loin et Luque se régalait en le voyant passer, collé à lui. Cette transformation était-ce le fait de l’homme ou de la bravoure qu’avait révélée le maestro ? Sincèrement, je n’ai pas la réponse et en tant qu’aficionado, ça me démange de revoir la faena ou d’en parler avec le torero. Il n’avait pas brindé au public, mais avait-il perçu quelque chose qui nous avait échappé ? En tout cas ce fut magique, les passes étaient langoureuses, avec ce sceau qu’a Luque aujourd’hui. Sans jamais trop en faire, toujours juste, d’une maestría totale. L’estocade, elle aussi, fut sensationnelle, même si le toro tarda à tomber. Il eut une mort de brave.
Sur son premier, ce fut une autre leçon de tauromachie. Il le reçut à la cape dès sa sortie pour celles qui furent les plus belles véroniques de l’après-midi. Mais le toro était compliqué et très dangereux. En d’autres mains, cela aurait été encore plus palpable. Luque s’imposa à lui, se permit même de le toréer avec du goût mais il ne put conclure à l’épée, ce qui le priva peut-être d’une oreille.
Emilio de Justo en coupa une à son premier, un toro réticent à charger, auquel il sut arracher les passes qu’il ne voulait pas lui donner. Très beau début de faena par le bas, exigeant et plein de torería. Faena engagée, puissante conclue d’un efficace coup d’épée. Sur son dernier, il n’y avait rien à faire, le toro n’avait pas une passe et le torero n’insista pas.
Antonio Ferrera eut un mauvais lot, son premier était beaucoup trop lourd, plus de six cents kilos qu’il n’arrivait pas à porter. Pratiquement rien à faire, quelques passes isolées. Son second, très armé, très haut, donnait des coups de tête et avait peu de classe. Antonio l’essaya, mais le public ne le suivait pas. Ce n’était sans doute pas un bon jour pour le matador qui fut sifflé à sa sortie car on en attendait bien davantage. Mais il faut qu’il y ait des toros ou un torero comme Daniel Luque capable de trouver l’alchimie là où personne ne peut la prédire.
6 toros d’El Montecillo, sérieux, armés, mais manquant de caste dans l’ensemble.
Le cinquième fut applaudi à l’arrastre.
Antonio Ferrera : silence et sifflets.
Daniel Luque : salut après avis et deux oreilles.
Emilio de Justo : oreille et silence.
Corrida Goyesque, ruedo en bleu, très belle entrée.
Antonio Arévalo
Le respectable
Les anciens revisteros, journalistes (ou chroniqueurs) taurins parlaient du public de corrida en le nommant le respectable. Le mot s’est perdu, il est devenu inusité dans les comptes rendus où pourtant le vocabulaire taurin a un sens bien précis. En l’occurrence, le respectable c’est celui qui mérite le respect des toreros, des ganaderos et des organisateurs car il paye et que sans lui, il n’y aurait tout simplement pas de spectacles taurins.
Hier à Lachepaillet, le respectable remplissait largement les tendidos. Il y avait du monde jusqu’au tabloncillos de sol, le dernier rang. Même si une hirondelle ne fait pas le printemps, réjouissons-nous, alléluia ! : la corrida a un véritable ancrage populaire dans une grande ville comme Bayonne, c’est un spectacle de masse et la maudite pandémie n’empêche pas le retour aux arènes comme certains le craignaient. Un public sérieux, avec beaucoup de jeunes, qui dans l’ensemble aura vécu avec attention ce dur affrontement de la soirée entre trois grands matadors et six toros âpres, dangereux et peu propices aux succès. Sans doute les coletudos (un autre mot du vocabulaire taurin qui s’est perdu) ne s’attendaient pas à une telle opposition.
Le respectable aura-t-il vu la difficulté des combats proposés et mesuré l’effort des trois matadors dans ces duels exposés ? Oui car il a primé avec justice les trois hommes. Antonio Ferrera qui revenait ici sur les traces de ses débuts, sur les lieux d’une jeunesse explosive, fut à peine sifflé. Il était plus à la peine que lors de ses shows inattendus et spectaculaires. Il déçut, ça peut se comprendre, mais le respectable ne l’accabla pas.
Emilio de Justo qui lui aussi a des attaches locales, fut justement récompensé d’une oreille. On aura aimé son engagement, son oficio aussi et cette calme domination sur l’animal. Le chemin parcouru par Emilio est immense et disons c’est dans ces parties difficiles qu’il nous séduit le plus. Le respectable demanda et obtint fort justement une oreille de poids.
Mais il y a une sorte de lien souterrain très fort entre Daniel Luque et le public bayonnais. Il fut d’ailleurs ovationné avant sa première sortie. Ce n’est pas un lien naïf ou idolâtre. Le respectable bayonnais attend beaucoup du torero de Gerena car il sait qu’il peut donner beaucoup. Il a disons-le hier, crevé les plafonds à deux reprises et ainsi cette passion réciproque entre le torero et son public a encore augmenté comme de juste. C’est au cinquième que Daniel fut cumbre, transformant l’or en plomb et l’ennemi médiocre devint dans ses mains un combattant inattendu, pour lequel certains demandèrent la vuelta…
… La vuelta… après son dur effort, Daniel dut s’étonner lui-même de cette demande venue de quelques voix minoritaires, c’est vrai, mais bruyantes. Parfois, le respectable a des réactions surprenantes, mais comme il est respectable nous n’en dirons pas plus…
Pierre Vidal
(Corridasi – Photo : Bertrand Caritey)