PATRICE
Les initiales de son nom étaient peu significatives car tout le monde l’appelait « Counas ».
« Counas » exerçait en tant que professeur d’enseñanza au collège de Bouillargues.
C’était un homme idiot qui vivait seul en compagnie de deux chiens galeux et de quarante-quatre bonzaïs dans un appartement que lui concédait la mairie du pueblo.
Il aimait la salade de betteraves, les endives au gratin, buvait de l’eau minérale, détestait la tauromachie, se passionnait pour le jeu de dominos et collectionnait les cuillères à café.
Il lisait avec délectation les chroniques des morts de Manolete, de Paquirri, du Yiyo et se réjouissait de celles de Soto Vargas et de Montoliu.
« Counas » était stupide comme un balai sans manche ou, si vous préférez, comme une paire de banderilles sans harpon.
A tel point que, la seule fois où il s’était présenté à une élection locale, il avait obtenu moins de voix que « El Diamante Rubio » – hijo mayor de Valencia, del Levante et de todos los pueblos de mala muerte – lorsque le faux bigleux de légende avait postulé, seul y de cojones, à l’adjudication de la plaza de la calle Jativa.
Ce soir-là, comme tous les soirs et aussi comme tous les matins « Counas » consulta la messagerie de son PC « Flatron W1946 » que lui avait fourgué le vendeur spécialisé du « Super U» de Marguerittes en le faisant bénéficier des options « Pare-feu » et « Anti-virus » au prix imbattable de 658 euros payables en 11 mois.
« Counas » avait un message.
Il fut étonné parce qu’il n’en recevait jamais.
Il l’ouvrit avec son ouvre-boite de poche, souvenir offert par un copain milicien pour ses hauts faits dans l’interrogatoire des résistants du maquis de la Soureilhade, et lut son contenu :
« Plus que trois jours à vivre ».
« Counas » fut surpris par ce contenu singulier.
Mais il pensa qu’il s’agissait d’un message l’avertissant de l’intrusion d’un bug pervers annonçant la fin programmée de son PC.
Courroucé, il téléphona au vendeur du «Super U» de Marguerittes pour lui demander des explications circonstanciées sur ce fait inexplicable compte tenu que son PC « Flatron W1946 » bénéficiait des options « Pare-feu » et « Antivirus », le tout au prix imbattable de 658 euros payables en 11 mois.
Le vendeur, grand aficionado au Casanis et au tir sur chats vivants, le rassura sur la santé de son équipement qui avait fait l’objet de sa plus bienveillante attention, ainsi que des dernières mises à jour de Windows 97.
Par contre, il incita « Counas » à mieux s’occuper de ses clébards galeux, à astiquer ses cuillères à café et à prendre davantage soin de ses bonzaïs qu’un de ses clients hollandais, répondant au doux nom de Mr Lang de Putt, militant anti-corrida de La Haye et qui n’avait pas bénéficié des faveurs commerciales de la grande surface lui avait signalés particulièrement chétifs par défaut d’arrosage.
« Counas » prit note de ses remarques, astiqua ses cuillères à café, arrosa ses quarante-quatre bonzaïs, relut avec délectation les chroniques des morts de Manolete, de Paquirri, du Yiyo, de celles de Soto Vargas et de Montoliú et fit pisser ses chiens galeux avant de reconsidérer le mail reçu.
C’est alors qu’il remarqua l’adresse mail de l’expéditeur: poste201@gigamail.fr.
Un appel téléphonique à la 3ème adjointe de la commune – élue sur une liste écolo tendance « A bas Simon » et avec laquelle la famille Lang de Putt disait que « Counas » entretenait des relations sodomites les jours de courses de toros – lui précisa que c’était l’adresse mail d’un des postes de la salle informatique du collège où il enseignait.
Plus précisément le poste 201.
Fort de cette information de première main, son intelligence aigüe lui permit de conclure à juste titre qu’en aucun cas, ce message pouvait émaner de l’un de ses bonzaïs, de l’un de ses chiens galeux, encore moins de l’une de ses cuillères et encore, encore moins de Manolete, de Paquirri, du Yiyo, de Soto Vargas et de Montoliú.
« Counas » examina l’heure d’envoi du message : 16h10.
Il lui avait donc été adressé 10 minutes après la fin des cours, c’est-à-dire à l’heure précise à laquelle, dans l’enceinte du collège, « Puta’Ma », franquiste de la première heure, douzième aide de camp du général Millán Astray et péon de albanil de son état, refaisait, pour la quarante-troisième fois, le mélange du mortier destiné à consolider la structure du mur des cabinets de l’établissement scolaire.
A cette idée, il trembla de peur, « en proie au noir frisson » comme écrivait Victor de Besançon, celui qui adorait Napoléon number one, détestait Napoléon number trois et sautait comme un dindon toutes les gonzesses qui passaient à portée de sa barbe blanche.
Mais, très vite, « Counas » se ressaisit.
Il n’y a aucune raison de paniquer pensa l’éminent professeur de français, reçu avant dernier au certificat d’études, recalé lamentablement à l’Ecole Normale, ayant échoué pitoyablement au CAP de cosmonaute et nommé professeur uniquement grâce à l’appui conjugué de Mme Bergogne et du chanteur Renaud.
Ce ne peut pas être « Puta’Ma » ; en effet, je ne reconnais pas la rhétorique de style et la profondeur de pensée de celui dont les commentaires éclairés sur la perversité des toreros font la renommée de la pissotière sous l’horloge du Lycée.
Je soupçonne plutôt cet effronté de Marius Roumanille, qui est inscrit au Centre Français de Tauromachie de Nîmes.
Il m’en a toujours voulu de lui avoir donné une note de 2/20 au motif qu’à ma question : « Marius, comment pourrait-on qualifier l’architecture des arènes de Nîmes ? », il avait répondu en citant François René de Chateaubriand :
« Monsieur, sachez que chaque homme renferme en soi un monde à part, étranger aux lois et aux destinées générales des siècles et que les arènes ne se qualifient pas, dans la mesure où elles sont qualifiées par destination. Viva Nîmes y Morante !« .
« Counas » referma sa boîte e-mail sur cette pensée rassurante et alla se coucher en pensant à la 3ème adjointe de la commune, à la méchanceté des toreros et à celle de ce batave de Lang de Putt.
Le lendemain, il prit la décision de jeter un petit coup d’œil à ses e-mails, on ne sait jamais.
Il découvrit qu’il en avait un nouveau, adressé du même poste et à la même heure que le précédent.
« Was ist das encore ? » s’exclama « Counas » dans la langue chère à Vargas Llosa.
Il cliqua et le message s’afficha sur l’écran :
« Plus que deux jours à vivre ! ».
Ce soir-là, il eut plus de mal à s’endormir que le soir précédent.
(A suivre…)
Patrice Quiot