PATRICE
… Le lendemain soir, c’est avec la même appréhension que celle qu’aurait Pascal, le cuisinier de « Chez Nicolas », 3 rue Poise à Nîmes, devant un sushi ou celle qu’aurait eue Paul Laurent « Le Pape » devant un chèque bulgare que « Counas » ouvrit sa boite mail.
Il y avait un nouveau message.
Même expéditeur et même heure que les précédents.
Le contenu était presque identique, à l’exception du nombre de jours.
Il n’en restait plus qu’un seul.
« Counas » passa la nuit à réfléchir à ce qu’il convenait de faire.
Il en oublia de relire les chroniques des morts de Manolete, de Paquirri, du Yiyo, de celles de Soto Vargas et de Montoliú et de faire pisser les chiens galeux.
Mais il eut une idée.
Furtif, tel le renard du campo, il s’embusquerait ; malin, tel le singe du cirque de Sanlúcar, il observerait ; vicieux tel le chacal de la Marisma, il s’approcherait et impitoyable tel le lion d’Arzobispo de Calatrava, il frapperait.
Aussi, le lendemain, après la sonnerie de 16h00, à 16h 08 précises, furtif tel le renard du campo, l’idiot de Bouillargues se dirigea vers la salle informatique.
Malin, tel le singe de Sanlúcar, la porte de la salle en verre floué lui permit de voir une silhouette penchée sur un des postes.
Le poste 201.
La silhouette se releva et éteignit le PC.
Elle se leva et marcha vers la porte.
« Counas » aperçut, posé sur une table, un botijo d’argile qui appartenait au concierge, arrière petit neveu par les femmes de Pierre Schull.
Le sereno en avait hérité de sa grand-mère avec la 404 Peugeot, les œuvres complètes de Maurice Barres et le mazet de Caissargues.
« Counas » s’empara de l’objet en terre et, vicieux tel le chacal de la Marisma, se plaça en embuscade derrière la porte de la salle.
Mansa, allant aux planches, la silhouette se rapprocha et ouvrit la porte.
Sans chercher à comprendre et impitoyable tel le lion d’Arzobispo de Calatrava, « Counas » porta alors un violent coup de botijo sur la tête du mystérieux personnage qui tomba par terre.
Raide.
Une seconde suffit à « Counas » pour se rendre compte de sa bévue.
La personne qu’il venait d’ensuquer n’était pas Marius Roumanille, mais l’économe du collège, membre de la Fédération de Lutte Anti Corrida et nymphomane notoire, en train de sortir furtivement de la salle informatique dans laquelle elle s’était enfermée pour calculer comment elle pourrait gratter à son profit quelques euros sur la commande de chou-fleur destinée à la cantine.
Comment cette femme, pourtant grosse cochonne, qui se lavait les mains quarante-deux fois par jour, qui avait manifesté devant la statue de Christian ainsi que dans les arènes de Rodilhan, pouvait- elle être l’auteure (vous remarquerez au passage la féminisation du substantif) des mails ? se demanda Pépère.
C’est alors qu’une voix rauque et froide retentit derrière « Counas » et annonça :
“ Plus que zéro jour à vivre !”
Le lendemain matin, on retrouva le corps de « Counas » poignardé dans le dos avec un compas de la marque « Unis France » monogrammé/Madrid/Manuel Martínez Flamarique. ».
La gendarmerie du canton fit son enquête et « Midi Libre », dans une édition spéciale, rapporta que les argousins trouvèrent sur les lieux trois feuilles de betterave et de bonzaï, une cuillère à café, un double-six du jeu de dominos, un poil de chien galeux et une gouttelette du mortier destiné à consolider la structure du mur des cabinets.
Le laboratoire d’anatomo-pathologie de Bezouce repéra facilement les empreintes digitales de la troisième adjointe, de Lang de Putt, du « Diamante », du concierge, du renard, du singe, du chacal et du lion.
Le labo du FBI basé à Quantico (Floride/USA) parvint à attribuer une rognure d’ongle à Victor Hugo, un garrot crasseux d’exécution à « Puta’Ma », établit avec certitude que Chateaubriand avait bien passé son certificat d’études et que le compas monogrammé de marque « Unis France » avait bien été volé à Manolo Chopera dans son bureau de Las Ventas au début des années 80 par un maletilla manchot.
Sur la base de ces preuves flagrantes, Marius Roumanille fut arrêté par la Guardia Civil de Bouillargues.
Pour le meurtre de « Counas », le jury de la Cour d’Assises de Mus dans son unanimité condamna Marius à être assigné définitivement à Hénin-Beaumont (Nord) après avoir été exposé, pendant dix jours, le compas meurtrier dans la main droite, sur le pilori du Mont Margarot.
Profondément choqué par ce verdict inique, et comme le fit Voltaire pour Calas, Maître Jacques-Jean Spons, ténor du barreau du Palavas, dévot du maire du Grau du Roi, hooligan de Maître Floriot, exégète de Jacques Verges, défenseur des causes désespérées et adversaire infatigable des maladies vénériennes espagnoles, reprit l’affaire depuis le début.
Etablissant que les messages pouvaient résulter d’un virus inconnu en Languedoc, le grand baveux de Montpellier auditionna le vendeur du « Super U » de Marguerittes qui admit que le PC « Flatron W1946 » fourgué à « Counas » avait préalablement appartenu à son cousin de Poulx qui exerçait la belle profession de mesureur de fougassette, et que celui-ci lui avait confessé sur son lit de mort qu’un soir de Féria, ayant bu plus que de raison après la « faena à la chaise » de Morante, il avait inopinément fait tomber la rouille de seiche mitonnée par sa femme sur le disque-mémoire du « Flatron W1946 ».
En excellent homme et fin juriste, Jacques-Jean Spons a interjeté appel du verdict auprès de la Cour de Cassation au motif légitime que la rouille renversée était froide.
PS : Selon des sources bien informées, le dossier n°0030230 référencé sous l’appellation : « Mr « Counas » contre Marius Roumanille, toréador en herbe » serait réexaminé en 2032, lorsque la tauromachie sera définitivement éteinte.
Patrice Quiot