PATRICE
A Rome, à l’époque impériale, pour des raisons méconnues, le jaune devient dans le vêtement une couleur que l’on évite.
Au théâtre, c’est la couleur des « affranchis, des parvenus, des efféminés et des hypocrites ».
Le système médiéval repose sur les trois couleurs fondamentales de l’Antiquité et le jaune continue à se dévaloriser.
A partir du XIIe siècle, l’or devient peu à peu le bon jaune, signe de richesse, de beauté, de prospérité. Il est associé au culte divin et renvoie au sacré.
Il ne reste au jaune ordinaire que les aspects négatifs : mensonge, hypocrisie, trahison. Cet aspect négatif est lié au fait qu’il s’agisse de la couleur du vieillissement, de l’automne.
Alors que dans la nature, elle reste souvent rayonnante, elle ne parvient pas à rester éclatante aussi bien en teinture qu’en peinture.
Dans la théorie des humeurs galénique, la bile jaune est celle de la colère. Elle a son origine dans le foie, dont les maladies donnent un teint jaunâtre.
Quand le jaune est mat, terne, verdâtre, il s’associe à l’infamie. Ainsi on dit que le jaune est « la couleur des cocus » et « la livrée des jaloux et la couleur des traîtres en France, où l’on barbouille de jaune le portail de leurs maisons, comme celle de Charles de Bourbon le fut, pour marquer sa félonie sous François premier ».
Dans les romans médiévaux, un chevalier félon comme Ganelon s’habille de jaune.
Le quatrième concile du Latran imposa aux Juifs en territoire catholique le port d’un signe distinctif ; en France, ce fut la rouelle jaune, le béret ou le chapeau pointu souvent de couleur jaune, jusqu’au début du XIXe siècle quand les ghettos s’ouvrent enfin.
En France, on remettait aux bagnards libérés un passeport jaune qui les condamnait à l’opprobre pour la vie.
Dans l’Empire russe, les prostituées devaient porter un document appelé passeport jaune ou billet jaune.
En obligeant les Juifs à porter une étoile de David jaune, les nazis activaient un code de couleur séculaire, relié aussi bien à l’or qu’à l’infamie.
Le langage entretient les associations négatives : le rire jaune s’oppose au rire franc et sincère, il est contraint, c’est un rire nerveux déclenché par la peur, la honte ou la gêne.
En héraldique, on échappe à l’association négative en disant or pour jaune ; la différence entre le vrai or et un vil métal de couleur jaune est peut-être l’origine de la dévalorisation du jaune dans la société européenne du Moyen Âge, et l’association entre la couleur jaune et la trahison peut trouver son origine dans la dénonciation des faux-monnayeurs, conduits au supplice couverts d’une robe jaune.
De couleur jaune était le vêtement que l’Inquisition obligeait les hérétiques à revêtir en signe d’expiation. Elle leur faisait également porter une mitre de papier.
Molière était habillé de jaune dans « Le malade imaginaire » le jour de sa mort le 17 février 1673.
Le monde des toros partage cette appréhension pour la couleur jaune.
Aussi, plutôt que jaune pour les couleurs des trajes de luces, on parlera de vieil or (oro viejo), champagne (champaña), canari (canario) ou reseda (gualda).
Pour les pelages de toros, on parlera de melocotón (pêche), albahío (blanc jauni), jabonero (couleur savon jaunâtre).
Pour l’exorciser, Luis Miguel Dominguín, Curro Romero et Palomo Linares l’ont porté.
Antoñete en avait horreur.
A un point tel qu’il disait que cette couleur devrait être interdite dans les ruedos !
Manzanares padre aussi.
A un point tel qu’il dut passer à l’infirmerie pour calmer une crise de nerfs lorsqu’à Alicante le 23 juin 1976, Luis Francisco Esplá se présenta au patio de caballos avec un terno de color amarillo limón y azabache du sastre Fermín.
Esplá offrit le costume à son frère Juan Antonio quand il prit l’alternative et quelques années plus tard, vêtus de amarillo limón y azabache, les deux frères firent ensemble le paseo à Villanueva del Arzobispo.
Jesulín de Ubrique se vêtit de jaune lors de la fameuse corrida des femmes à Aranjuez en 1994 où le public était 100% féminin.
Il le fit également pour le 150ème anniversaire des arènes de Zafra lors d’un mano a mano avec Espartaco.
Mais Alberto Balderas était vêtu de canario y plata à México le 29 décembre 1940 quand « Cobijero », de Piedras Negras, le tua.
Ce qui est étrange est que ce jour-là, Andrés Blando, le novillero à qui Balderas donnait l’alternative, était également habillé de jaune et qu’un certain nombre de banderilleros firent le paseo en portant des costumes aux mêmes tonalités.
Ce jour-là, six toreros portaient des nuances de jaune.
Amarillo de mal fario…
Patrice Quiot