PATRICE
« Cette passion du taureau, dit Théophile Gautier, est commune à tous les peuples du Midi. Les races Catholiques à langues latines ont gardé cet artistique goût romain du cirque, objet d’horreur pour les races saxonnes et protestantes… « Courses Landaises, Camarguaises, Portugaises, Espagnoles… », quoi qu’il en soit, le principe est le même, il s’agit de braver un danger et de jouer avec des cornes menaçantes…«
Oduaga-Zolarde*, 1854.
« Il est difficile de savoir depuis quand les courses de taureaux constituent, à Nîmes et dans les localités voisines, un des spectacles préférés de la population.
Nous n’apportons du reste aucune indication inédite qui puisse éclairer d’une lumière nouvelle les origines et les modalités primitives de ce divertissement national des Méridionaux, sport peut-être aussi ancien que l’élevage même des taureaux dans la région du Bas Rhône. Nous voudrions simplement, tâche moins ambitieuse, mais plus aisée, donner quelques renseignements historiques sur les courses de taureaux dans notre ville de 1804 à 1820 environ, période qui semble assez mal connue à ce point de vue.
A la fin du XVIIIe siècle, et sans nul doute depuis fort longtemps, le peuple de Nîmes aimait beaucoup la course à la corde ou à la bourgine.
Toutes les fois qu’on amenait aux abattoirs un taureau de Camargue, voire un bœuf paisible, la foule se saisissait de l’animal et lui faisait parcourir au galop rues et places de la ville, tandis qu’une corde le maintenait et permettait de l’arrêter s’il devenait dangereux, d’où course folle, sauts, bousculades, scènes comiques et joie générale, les coups de corne, les chutes et les étalages renversés constituant le revers de la médaille.
Lors des fêtes ou cérémonies publiques, l’on donnait de temps en temps, sur une place barrée et entourée d’installations de fortune, des courses libres, des courses de cocarde ou « au mannequin », parfois une ferrade. Et déjà ces spectacles avaient leurs ennemis et leurs détracteurs. En 1778, le conseil de ville nîmois lui-même jugeait défavorablement, « ces courses qui occasionnent toujours des malheurs, qui portent atteinte au bon ordre et à la tranquillité publique, et qui sont très nuisibles au commerce et aux manufactures, ayant toujours été proscrites par les officiers municipaux ».
Durant la période révolutionnaire, les pouvoirs publics s’inspirèrent de sentiments identiques : un arrêté de l’administration centrale du Gard, en date du 20 fructidor an IV (6 septembre 1796), interdit la célébration des fêtes locales ou « votes », et prohiba expressément les courses de taureaux dans le département.
Cette défense fut renouvelée le 18 fructidor an VIII (5 septembre 1800). Il est bien difficile de savoir jusqu’à quel point ces dispositions furent respectées.
« Toutes courses ou combats de taureaux sont interdits dans tout le ressort du département, même lors de la célébration des fêtes républicaines ordonnées par la Loi. Il est fait défense aux propriétaires ou gardiens des dits taureaux de les prêter pour cet usage. En cas de contravention, il est enjoint aux municipalités de faire tirer sur les dits taureaux et de les tuer dès qu’ils paraîtront dans l’arène, sans que les dits propriétaires qui les auront fournis puissent réclamer aucune indemnité. »
C’est ainsi que le 19 messidor an XII (8 juillet 1804), à Nîmes, le peuple rassemblé devant l’abattoir refusa d’obéir aux ordres des commissaires de police et de se disperser, on bouscula quelques malheureux gendarmes, les portes furent enfoncées, les bœufs de Camargue enlevés de force aux bouchers, et la course « à la bourgine » se déroula par les rites avec ses péripéties habituelles. Cinq jours après, pareil « désordre » faillit se renouveler.
L’autorité s’émut, et le préfet, par deux arrêtés sévères des 24 et 27 messidor (13 et 16 juillet 1804), défendit ce divertissement, qu’il déclarait « dangereux, indigne d’un siècle et d’un peuple civilisés » ; tout attroupement devant l’abattoir serait déclaré séditieux, et dispersé au besoin par les armes. De Paris, le 9 thermidor suivant, (28 juillet, 1804), le ministère de la police générale approuva ces dispositions. II est présumé que le Gouvernement impérial eut gain de cause pendant quelques années, les documents administratifs sont muets à ce sujet.
Mais toute législation contraire au vœu public ne peut durer. Un événement heureux, la naissance du Roi de Rome (20 mars 1811), fit lever l’interdiction. Dès le 6 avril, une circulaire du ministre de l’intérieur avait recommandé aux préfets de veiller à ce que l’on célébrât partout des fêtes solennelles, et au besoin, pour donner à la joie publique tout son essor, de « renouveler d’anciens usages chers aux peuples de certaines contrées ».
Le baron Rolland, préfet du Gard, développant ce principe, écrivit très justement à tous les maires : « Vous pouvez renouveler les anciens usages, chers aux habitants de ces contrées, tels que la course, la lutte, les jeux des taureaux et autres spectacles propres à donner au peuple cette gaîté qui caractérise les habitants du Midi ».
Aussi donna-t-on à Nîmes, les 9 et 10 juin 1811, jours désignés pour la fête, deux courses de taureaux sur la place des Arènes, entourée de barrières et d’amphithéâtres dressés par les soins des entrepreneurs au sud-est du monument romain. Le succès fut très vif. Le Journal du Gard, qui ne fournit malheureusement aucun détail sur la nature même des courses, mentionne la présence à chaque journée de 12 à 15000 spectateurs.
Le directeur du théâtre et des spectacles à Nîmes était, alors, depuis 1809, François Branchu. Fort désireux sans doute de réaliser d’importants bénéfices que la scène s’avérait impuissante à lui procurer, il s’empressa de solliciter une autorisation préfectorale, afin de donner des courses à Beaucaire pendant la foire.
Le Préfet, sur l’avis du Maire, refusa, aucune installation de fortune ne lui paraissant assez sûre pour éviter tout risque d’accident.
Cette question du local se posait également, à Nîmes, où l’on manquait d’une installation permanente pouvant donner place, en toute sécurité, à une foule considérable de curieux. Il y avait bien l’amphithéâtre, qui avait vu peut-être aux temps antiques des spectacles du même genre, mais l’intérieur des Arènes et les arceaux étaient occupés et habités.
Le dégagement de ce superbe édifice, demandé par le conseil de ville nîmois le 7 avril 1785, puis par les Etats de Languedoc le 14 février 1786, avait été décidé par arrêt du Conseil royal en date du 28 août 1786, mais les événements des années suivantes n’avaient pas permis la réalisation de ce projet. Il fut repris en 1807, et, mis enfin à exécution au printemps de 1809. On démolit d’abord l’îlot d’oraisons situé à l’est de l’Esplanade, puis on fit place nette dans l’intérieur du monument et dans les arceaux. Ce premier travail fut complètement achevé au début de 1813.
C’est alors que le baron Rolland, préfet du Gard, dans une lettre au ministre de l’Intérieur datée du 7 avril, proposa de rendre les Arènes à ce qu’il croyait, leur antique destination, et d’y donner des courses de taureaux :
« Le goût qu’a le public pour la course de taureaux est porté jusqu’à la fureur dans ce pays et nulle part, il n’existe aucun emplacement aussi magnifique que celui des Arènes. »
Il estimait qu’on pouvait les louer, le produit serait affecté à la restauration du monument.
Branchu, que l’exploitation du théâtre laissait en sérieux déficit, s’empressa de faire parvenir, le 8 avril 1813, une pétition au préfet :
« Je désire pendant l’été donner à la ville de Nîmes un spectacle qui de tout temps fut cher à ses habitants et qu’on peut, appeler le spectacle du pays, la course des taureaux. »
A suivre…
Datos
En 1854, à Bayonne, Gaspard Aguado, vicomte de Lozar et comte de Cazurra qui a été nommé pour s’occuper de toute l’organisation des fêtes et des arènes, publie sous le nom de Oduaga-Zolarde, (anagramme de Aguado Lozar): Les Courses de taureaux expliquées, manuel tauromachique à l’usage des amateurs de courses, réédité en 2001 sous le titre : Les Courses de taureaux expliquées, le premier manuel tauromachique français.
Patrice Quiot