Tout au long de ses campagnes anti-taurines, il connut nombre de péripéties assez violentes, voire dangereuses, la plus célèbre étant celle de Séville, en 1913, au cours de laquelle on voulut lui couper les cheveux, en signe de représailles pour ses diatribes contre les coletas. 
 
Il s’exposait volontairement aux dangers, prenait goût à cette audace qu’il savait dangereuse. 
 
Noel avait l’impression de tenir les rênes d’une expédition punitive – que lui-même nommait croisade – contre les derniers vestiges, selon certains, d’une manifestation mauresque. Il réussit à embrigader les intellectuels de l’époque comme Azorín, Unamuno, Benavente et imprima une touche républicaine à son combat. À ses débuts, Noel se sentait soutenu : « Nous voulons son extinction absolue […]. Nous cherchons son extermination par le discours, par l’article, par le livre, par la propagande […]. Nous avons décidé d’en finir avec les corridas et le flamenquismo. »
 
Conquis par son courage, et dès le premier mois de sa campagne, Unamuno publiait les lignes suivantes : « Je veux féliciter mon compagnon d’armes pour sa campagne contre ce fléau de notre Patrie qu’est la flamenquería. » Par la suite, Unamuno lui envoya régulièrement des lettres de soutien dans lesquelles il applaudissait son initiative pour laquelle il manifestait un véritable enthousiasme, allant jusqu’à lui proposer de servir dans les rangs de ce régiment anti-flamenquista. Il était prêt à chercher et à trouver les hommes disposés à se battre à leurs côtés et à se rallier à leur doctrine :
 
« Une ligue ? Si seulement on pouvait en former une ! Un manifeste ? Écrivez-en un, sinon je l’écrirai […]. Il faut espérer que l’on s’unisse à trois, quatre, cinq, dans ce but concret ; le reste viendra tout seul. » Il ne cessait de l’encourager dans cette campagne guerrière désormais entreprise par plusieurs : « Courage, et ne cédez pas. Et n’oubliez pas qu’il y a un bataillon de solitaires derrière vous. »
 
Sans doute espérait-il grossir des rangs qui tardaient à se former… D’autres écrivains, dont Noel publiait les témoignages de solidarité, l’incitaient à poursuivre sa croisade. 
 
En dépit de ces manifestations de soutien, Noel se plaignait du manque de solidarité des intellectuels, estimant qu’il ne recevait pas la reconnaissance et l’appui qu’il méritait. Lorsque ses discours rencontraient une certaine animosité au sein du public, il s’apercevait que les intellectuels et les journalistes de renom, au lieu de l’applaudir sans réserve, protestaient et le diffamaient. Il faisait allusion au rejet et aux complots dont il était victime, soupçonnant certains de ses confrères journalistes de vouloir saper sa campagne pour lui voler la vedette. 
 
En juillet 1914, alors qu’il était en pleine tournée, il s’aperçut qu’on étouffait ostensiblement sa popularité. Certains quotidiens osaient publier des articles anti-taurins sans faire allusion à sa personne. Aussi, se sentait-il trahi par ceux-là mêmes qui s’étaient ralliés à sa cause. Sévère dans son jugement, Noel critiquait chez ces intellectuels l’antithèse de son action : leur passivité. 
 
Non seulement il se moquait des prétentions anti-taurines de certains intellectuels dont il avait reçu le soutien, mais il persistait à souligner l’inefficacité et l’échec de ceux qui lui refusèrent leur concours et qui n’avaient cité son nom que pour le ridiculiser. Même si Unamuno s’était joint à sa cause, il le faisait de loin, depuis sa table de travail, pendant que Noel sillonnait le pays. Il avouait, à demi-mot, être finalement resté en retrait, et reconnaissait que Noel avait entrepris cette campagne au milieu de l’indifférence, quand ce n’était pas de la moquerie ou de la froideur publique. 
 
C’est surtout la couleur politique que Noel donnait à sa campagne qui gênait l’intellectuel. Libéral et républicain, Noel méprisait la bourgeoisie réactionnaire et souhaitait rallier le républicanisme à sa lutte anti-flamenquista. C’est cette coalition politique qu’Unamuno désapprouvait, car, pour lui, le parti républicain de l’époque était un menteur et un corrupteur. « Noel se montre […] passionné et un peu trop mordant, parfois. »
 
Il lui recommandait d’être moins aigre, moins déclamatoire. En définitive, alors que, pour les intellectuels, la corrida était un symptôme manifeste et explicatif de la dégradation du pays, pour Noel, elle en était la cause. 
 
Noel se retrouva isolé….
 
(A suivre)
 
Patrice Quiot