DAX
Deuxième et dernière corrida de feria. Arènes bien remplies, soleil et chaleur, léger vent très agréable, deux heures trente de spectacle. Quatre toros du Puerto de San Lorenzo et deux (premier et sixième) de La Ventana del Puerto. Lot de 508 à 540 kilos tous deux piques, à part le premier, deux châtiments et deux piques de manso. Généralement braves sous le fer.
Morante de La Puebla (noir et argent), au premier, cinq pinchazos et une demi-lame, silence ; au quatrième, une entière longue d’effet, un avis, salut au centre, division d’opinions.
Daniel Luque (rouge et or), au deuxième, une entière, salut ; au cinquième, une entière, deux oreilles.
Juan Ortega (marron très foncé et or) au troisième, une demi-lame, une entière, un descabello, avis, applaudissements ; au dernier, six pinchazos, un descabello, avis, silence.
Présidence, Franck Lanati avec pour assesseurs, Nathalie Néaumes et Nicolas Huguet.
C’était un peu une nouvelle version de « la querelle des anciens et des modernes » qu’interprétaient Morante de la Puebla et Daniel Luque, deux monstres sacrés, avec une profonde personnalité et une façon très personnelle de concevoir l’émotion artistique. L’affrontement ne se sera déroulé que sur deux toros, le premier de Morante étant un manso fuyant les leurres et le premier de Luque un toro plutôt faible qui obligea le maître de Gerena d’en rester à une faena d’infirmier.
C’est donc en seconde partie de cette dernière corrida de la feria Toro y Salsa que tout s’est joué entre les deux maestros.
Morante ouvrit les hostilités avec un séduisant tercio de cape qu’il concluait d’une demie à étonner le mundillo. Il ouvrit sa faena par quelques statuaires et très vite, on retrouva le Morante de légende dans ces inimitable derechazos, simples, épurés au possible et qui n’en finissent pas. Le tout se déroule sans accroc avec de temps à autre une trinchera pour bien montrer au toro qu’il reste le maître. La muleta caresse de toujours plus près le sable, lorsqu’à gauche s’élèvent les elfes de l’art. Tout est magique, l’homme qui semble sur une autre planète et cette douceur qui émane de la faena, douceur inhabituelle en notre monde. On croirait l’histoire interminable, et soudain à la fin d’une passe, Morante change de main et laisse la muleta pour l’épée et dans l’enchaînement l’acier s’enfonce jusqu’à la garde. Appuyé à la barrière dans une attitude de torero à la Goya, Morante ne bougera pas durant la longue agonie du toro. Le public n’a plus l’habitude de ces séquences et se divise entre sifflets et applaudissements.
Au premier, avec un manso qui a fini par refuser les leurres, Morante ne pouvait que rendre copie blanche.
Daniel Luque est tout au contraire de Morante, un bouillonnant, un trépidant, qui se bat à chaque entrée dans l’arène. Il arrivait sur ce sable avec un public qui n’avait pas oublié son triomphe du mois d’août et l’encourageait sans cesse. Avec ce cinquième toro, Malvarrosa, il commença par une somptueux tercio de cape et entre deux piques servit de belles séries de chicuelinas. Le ton était donné, Luque se lança dans la faena par une série de passes très basses, genou plié, histoire de bien châtier et de faire humilier le toro. Le meilleur va se succéder sur un rythme très rapide, séries de derechazos très templés… un temple qu’il manifestera dans de longues séries de naturelle qui suivent. La musique l’accompagne, il danse avec et entraîne le toro. Il est survolté, il veut être le meilleur au risque de paraître baroque. Avec l’acier, l’affaire est rapidement entendue, le public exulte, scande le nom du torero, que faire d’autre que d’accorder deux oreilles.
Voilà Luque racheté d’une première sortie où il dut se contenter du rôle d’infirmier, face à un toro qui donnait l’impression, mais toujours prêt à s’écrouler sur un mouvement trop violent. Alors fallait-il lui donner une oreille pour un ensemble sans la moindre faute ?
Dans ce duel, Juan Ortega est passé un peu inaperçu avec une tauromachie parfois anodine, souvent simpliste et qui n’a jamais porté sur le public, même si l’on pouvait y relever quelques belles séquences, son dernier échec à la mort n’a fait que clôturer une journée très terne pour ce Sévillan qui se retrouvait à côté de deux monstres sacrés.
Jean-Michel Dussol – photos Bertrand Caritey