La corrida est indissociable du domaine religieux de par les saints ou le temps liturgique auxquels sont associées les grandes réunions taurines : San Isidro à Madrid, Semaine Sainte à Séville, San Fermín à Pampelune, le Toro de la Vega à Tordesillas en l’honneur de la Vierge de la Peña, le Corpus Christi à Tolède, Pentecôte à Nîmes…
 
Ceci, alors que paradoxalement, l’Eglise s’est parfois opposée aux jeux taurins qu’elle considérait comme des réminiscences directes des antiques jeux du cirque, sachant que ces dites « férias » étaient souvent l’occasion de débordements dans un climat de liesse populaire qui rappelait très clairement le monde du paganisme. C’est d’ailleurs l’un des rares domaines où, au-delà des Pyrénées, la pourtant si écoutée et révérée Eglise catholique espagnole, resta absolument impuissante à imposer certaines de ses volontés.
 
Le clergé catholique espagnol, qui constatera l’engouement pour ces fêtes et qui s’interrogea sur la manière d’en circonscrire les tendances excessives, fera mieux à l’époque que soutenir les traditions taurines, il ira jusqu’à les bénir et leur conférer un caractère religieux qu’elles ont encore conservé.
 
On trouve, par exemple, dans un livre de la Société du Saint-Sacrement de l’église paroissiale de Saint-Pierre de Valladolid, un texte expliquant que cette Société offrira régulièrement « des jeux taurins ».
 
Des Tiers Ordres, pour marquer les réjouissances liées à leur fondation, organisèrent des fêtes où l’on se livrait à la corrida ; certaines confréries, comme Notre-Dame de Sabor à Cáceres, n’admettaient en leur sein que des « chevaliers courant les taureaux ». Lors de la béatification de sainte Thérèse d’Avila, en 1614, on organise trente courses lors desquelles cent taureaux sont mis à mort. Il en va de même lors de la canonisation de saint Ignace de Loyola, de saint François Xavier, de saint Isidore le Laboureur en 1622, de saint Thomas de Villeneuve en 1654.
 
Les liens entre l’Eglise et la corrida vont donc se resserrer étroitement, et l’on verra même éclore ce que l’on pourrait appeler « les miracles taurins » :
 
Ainsi, Baltasar de Fuensalida, en 1612 à Tolède, désarçonné par un taureau lors d’une corrida, invoque Notre Dame de l’Espérance pendant qu’il est encorné et guérit de ses blessures. Saint Pierre Regalado, patron de Valladolid, arrête un taureau furieux par son regard. Sainte Thérèse d’Ávila elle-même, apaise deux taureaux qui viennent à ses pieds et qu’elle caresse.
 
De leur côté, les très catholiques monarques espagnols n’étaient pas en reste et semblaient eux aussi apprécier ces pratiques. C’est ainsi que l’Empereur Charles-Quint (1500-1558) fut si heureux de la naissance de son premier enfant qu’il descendit dans l’arène de Valladolid pour y combattre et tuer un taureau sauvage. De ce fait, les corridas sous Charles II, au XVIIe siècle, deviendront un vrai phénomène de société.
 
pq23h
 
Les conquérants espagnols introduisirent les jeux taurins en Amérique Centrale et du Sud. En 1529, le conquistador Cortés y importe les taureaux, et plus encore qu’en Espagne, la tauromachie aura le soutien de l’Eglise. Les Indiens l’appréciaient et considéraient qu’il y avait là un équivalent de leurs rites.
 
Ainsi, dans les territoires conquis par les espagnols au nouveau monde, les capucins élèvent des taureaux et possèdent, comme à Caracas, des arènes où, à l’occasion de chaque fête religieuse, se déroulent des corridas qui servent à financer la construction d’églises, de chapelles ou de monastères. C’est ainsi que fut édifiée l’église de Castillo de Chapultepec en 1788, ainsi que celle de Guadalupe en 1808.
 
De même en Italie, séduit par cette vogue, César Borgia, fils du pape Alexandre VI, réintroduit la corrida qui avait été en vigueur à Rome jusqu’à Léon X (1521), pour la mettre au programme de ses divertissements favoris.
 
Seule l’accession au trône d’Espagne d’un français, Philippe d’Anjou, le petit fils de Louis XIV, fera que l’on interdise un court temps aux seigneurs d’y participer, d’autant que les corridas de l’époque étaient bien plus dangereuses pour les hommes que celles d’aujourd’hui, et n’étaient pas sans risque pour les spectateurs, Francisco Goya, ayant représenté un accident survenu au cours d’une de ces fêtes, et entraîné la mort de l’alcalde de Torrejón.
 
On vit même des moines se faire toreros à l’époque de Pepe Hillo.
 
C’est d’ailleurs à un ecclésiastique, Don Gregorio de Tapia y Salcedo, que se codifie avec en 1643, la publication du Traité d’équitation et diverses règles pour toréer, la tauromachie à cheval réservée à la noblesse.
 
Par ailleurs, la ganaderia de Miura a été formée au départ par un prêtre, Marcelino Bernaldo de Quiros, curé de Rota, qui croisa les vaches andalouses des pères dominicains du couvent de San Jacinto, avec des toros navarrais, race qui provient elle-même des moines de la Très Sainte Trinité de Carmona.
 
Les spectacles taurins vont donc devenir un élément central des festivités en Espagne, et se dérouleront de plus en plus sur les places publiques afin de célébrer victoires, fêtes patronales ou événements religieux.
 
A suivre…
 
Patrice Quiot