CFT
Il a neigé sur Caissargues (Yesterday ?) et ici, il fait très froid. Soleil, mais froid. Avec un petit vent venu du nord est. C’est d’ailleurs le si gentil serveur, originaire de Saint Domingue, qui me l’a confirmé, en prenant la commande de ma tostada. Tellement froid que, lors de notre installation dans la chambre, ayant prévu un petit chauffage d’appoint, je me suis aperçue qu’après une nuit, il ne fallait surtout pas ouvrir les portes de l’armoire car il y faisait encore bien frais !
Mais, nous bravions quand même les éléments, pour aérer notre chambre, qui donne toujours côté bédigues. Les élèves, après une nuit réparatrice, étaient fins prêts pour l’entrainement du matin, animé par Nino et Simon. Il faut vraiment qu’ils soient passionnés.
Jean-Luc et Gérard étaient partis sur Salamanca, pour faire quelques emplettes. Le tentadero était fixé à 14 heures, toujours à la ganaderia Sepúlveda.
On commençait à s’installer dans une petite routine, si chère aux sportifs de haut niveau. Un debriefing individuel était prévu en fin de matinée, mené par le Maestro Le Sur. Il était très important que chacun soit conscient de ses attentes, ainsi que des points à améliorer et de leurs bons gestes et réactions de la veille.
Notre querencia dans cet hôtel était très agréable. Nous étions surtout dans le bar très accueillant, la cheminée nous diffusait une chaleur douce. Nous faisions beaucoup d’aller-retours avec le premier étage, vers nos chambres respectives. Ce qui me rassurait finalement c’est que la 13ème marche grinçait toujours, ce que j’avais remarqué à notre premier séjour, voici quelques années. Mais, ce qui me rassurait moins, c’était que désormais la 4ème et la 7ème commençaient, elles aussi, à grincer… Ça, c’était paglop !
En passant à côté de la table où se déroulent les entretiens, je surprends un commentaire de Nino s’adressant à un des élèves : « Pas de quantité, de la qualité, quand on te dit quelque chose, ta tête doit travailler aussi…« . Et finalement, je me rends compte que ceux qui sont passés par ces mêmes chemins, quelques années auparavant, comme Nino ou le Maestro Tibo Garcia, sont très sévères envers les élèves, car ils savent tellement combien les choses se compliquent, plus on avance dans la discipline.
Nino nous confie qu’à Salamanque, quand il s’entraîne au gymnase, c’est la vérité brutale… « On se rend très vite compte que tous les types toréent parfaitement de salon, alors il faut aller au bout de ses possibilités pour s’améliorer. C’est de tous les instants. Il faut se faire mal. Vraiment ! »
Ana nous avait fait préparer un plat de lentilles au chorizo, dont elle a le secret. Un petit dessert et puis le groupe se lève de table pour se préparer.
13h30, soleil éclatant, 5 degrés. Retour chez Sepúlveda pour 5 autres vaches.
Dans les champs, tout le long du trajet, le bétail est tranquille, une sérénité se dégage de tout cela, C’est extrêmement paisible et ressourçant.
On longe les toros grandeur nature que la Diputación a décidé d’installer, sur le bord de la route, voici bien longtemps. Mais, ils étaient tellement réalistes que les automobilistes qui les apercevaient au loin ralentissaient. Du coup, il fut décidé de les « pinturlurer » avec des motifs et des couleurs improbables, pour que le conducteur distrait sache tout de suite que c’est un fake. Mon préféré, c’est celui qui s’est vu affublé de l’éclair qu’arborait David Bowie époque Ziggy Stardust !
A l’entrée de la finca, un énorme tas de bois de chêne attend. Et comme dit l’indien, « homme blanc couper du bois, hiver rigoureux ». Il a bien raison !
Le Maestro Tibo García est là. C’est toujours un plaisir de retrouver d’anciens élèves que l’on a connu minots et qui se révèlent être devenus des adultes responsables, matures et toujours aussi heureux d’être là avec nous.
1ère vache : 14h29, petite vache rousse. Excellente.
Aujourd’hui, on travaille le poids et son transfert.
Durant toute la séance, les conseils et recommandations vont être donnés par le Maestro Le Sur, Don Iñigo Sepúlveda et Nino.
Le Ganadero demande à Gauthier « Tire la profondeur maximale de la becerra ». Belles séries bien rondes.
Manuel. « Mets-toi au milieu… Tu as réussi le temple, mais sépare bien tes passes, je te félicite, tu as réussi… ». Le debrief de ce matin semble porter ses fruits. « Mets les reins… Laisse la muleta, le poids sur la jambe…Tu as fait l’effort mais ce n’est pas parfait ! »
Sacha : « Le poids sur la jambe, replace-toi, cite la plus fort… Tu es sur le quai de la gare… »
Simon : « Replace la vache au centre… Applique-toi, bouge plus… Laisse la muleta. Voilà, tu as fait un truc bien… 2 passes suivies, c’est bien ! »
Rafael : « Bien. Bravo. Elle en a des passes. Continue, ne rentre pas en guerre avec elle. Olé ! Quand on se met au bon endroit, ça fonctionne. Essaie d’harmoniser tout ça, qu’elle voie arriver la muleta de loin, bien… muy bien… Régale-toi ! »
Valentin : « Sors-la de là, recule au centre. Qu’elle voie arriver la muleta qui l’aspire… Le poids sur la jambe… Ne te presse pas… Touche lui la joue. »
Le ganadero crie « Peluquero ! ». La vache sort.
Nino donne ses recommandations à Rafael, durant la courte pause.
2ème vache : 15h10, jolie vache noire, très mobile.
Clément : « Bien… ! bien ! »
Matthieu : « Très bien ! »
Baptiste : « Au milieu, prends beaucoup de sitio, accompagne-la, à mi-hauteur… Bravo, très bien l’aguante ! Tu as fait l’effort, tu vas faire mieux maintenant. Prends son rythme, continue à gauche… Voilà, doucement, aspire-la… A droite… Ne la déplace pas… Eso, voilà… Bien… doucement, c’est parfait là… Tu as toréée en rond, c’est bien… Bravo, bien relâché, c’est bien. Si señor… »
Matthieu : « À droite, entregado… Je n’ai pas vu grand-chose moi ! C’est nerveux, décontracte-toi, montre-moi que tu es quieto… Voilà… avec le poids sur la jambe… Oh ! non ».
Sacha : « Réveille-toi… Tu vas trop vite, conduis-la… C’est mieux… ça fait trois fois que tu lui lèves la main, change de piton… Bien, attends… Doucement… Très bien… Reprends à gauche, ne te fais pas accrocher, amène-la derrière ton dos… La vague… Eloigne-toi du toril… Écoute Nino… Laisse-lui la muleta, si elle s’arrête, laisse-lui le temps. À gauche, enlève-moi cette épée, C’est bien ! »
Re-Baptiste : « Sois comme dans une arène, à la sortie des séries, regarde les gens, accroche-les ! Bien !
Croise-toi… Olé ! Voilà… Non, tu l’as doutée. C’est toi qui décides. Change de sitio, elle est en querencia au portail, change de terrain… Elle est plus compliquée à gauche. Confie-toi… À sa hauteur… Fais-lui des choses, tu es dans une arène, bien ! Tu es en public ! Coupe… coupe… Mets-toi la muleta dans le dos… bien, voilà ! Marche en torero, simule une mise à mort…Tu es très fuera… Recommence… Ne regarde que l’endroit où tu dois mettre l’épée… Plus fort. Comme un coup de poing… Encore… C’est la muleta qui tue, le pico aux sabots ! »
« Attrapage » de queue, déstabilisation et Carlos le coiffeur accourt avec ses ciseaux. Ouverture du portail et Ciao la compagnie !
3ème vache : 15h48, Vache rousse plus forte, très, très mobile.
Un joli milan plane au-dessus de nous. Un échappé du parc de Monfragüe probablement.
La vache plus compliquée, elle serre beaucoup.
Manuel : « Au centre… »
Valentin : « Montre-moi ce que tu sais faire ! »
Robin : « Allez ! Abajo… Attends… Bien ! »
Re-Manuel : « Derrière, le vuelo… Bravo. Passe au centre. Tu es en public, tu as entendu ? Tu es en public… Laisse la muleta. Parfait ! Muleta devant, Baisse-lui la main…No paré, sigue. Voilà, très bien… Trinchera pour débuter… Montre bien ta muleta… Voilà, sitio… Tu commences à prendre le dessus… Pico, pico… Tu as vu ? tu lui as donné l’intérieur, elle te vient dessus… Manuel, chaque muletazo, tu perds du terrain ! »
Clément : « Re-croise-toi ! Bien ! Bien ! »
La vache le serre fort, mais il se bat.
Rodéo pour préparer le coiffeur : sortie du salon à 16h13.
4ème vache : 16h16, vache rousse plus petite, très rapide.
Nino, pour la parer. Vuelta de campana. Il nous montre un toreo très suave, c’est un plaisir. Il a beaucoup mûri. Il est tellement doux que son surnom sera désormais « Doudou » !
Rafael : « Sois doux… Muy despacito… C’est bien… Que no te toque el capote ! »
Nino : Don Iñigo : « Ahí, no toque la muleta… Series cortas… Doucement, rematamos. Il faut qu’elle prenne confiance… Doucement, toma confianza… Ahora, sí… Poco a poco… Levantarla… Saca la muleta por delante acariciándole ! »
Matthieu : « Voilà je te préfère comme ça… Recroise-toi avec du sitio… Ne te presse pas… Fais les choses plus suaves… Entregado… Elle a querencia au toril, décolle-la d’ici… Demain matin, pour tout le monde, footing en arrière… Palo horizontal… Ne te fais pas accrocher la muleta… Tire la muleta après le toque… Voilà ! ».
Nino : « Sigue sigue Nino, bien ! De rodillas… redondos… Muy bien templado, muy bien ! ».
Simon : « Doucement !!! Pousse ton muletazo jusqu’à la fin… Pecho bien ! Eprouve-le… Bien, bien, doucement… C’est bien. ».
Manuel : « Allez, Guapo, Bien. Ressens-le… La jambe devant… Vale ! ».
Robin : « N’ouvre pas le poignet, c’est la ceinture… Pico de suite… C’est bien encore… Bueno ! Vale ! ».
Baptiste conduit la vache pour la séance de coiffeur, parce qu’elle est fatiguée. Elles prennent toutes des dizaines et des dizaines de passes sans broncher.16h45.
5ème vache :16h48. Le Maestro Le Sur lance un petit commentaire à tous : « Mettez-vous dans la tête que vous êtes en public. Donnez de l’importance à ce que vous faites. ».
Vache rousse, haute, très vive.
Valentin : « Sitio…Il faut la lidier par le bas, les deux mains… Tends tes bras… C’est ça, allonge-la… Voilà ! ».
Baptiste : « Bien…Tu es trop près… Attends… Remate. ».
Robin : commence à la muleta « C’est bien ! Sois doux… Enlève-toi… Prépare-toi pour une série… C’est pas mal… Trop près… Pecho… Bien ! À gauche… Ta jambe gauche devant… Ne te laisse pas marcher sur la muleta… Voilà… C’est bien… Enlève-toi… Un pecho pour remater… Bien ! Bravo, c’est bien ! ».
Gauthier : « Fais-moi du spectacle, à droite, à gauche… Bien, C’est ça… Voilà… La vache est très bonne… Eso es… Mets les reins… Bien… À genoux … Aspire-la… Bien l’aguante ! ».
Manuel : « Bien… De rodillas… Relève-toi… Sors-la de là ! Bien… Allez, continue… Faut sauter pour faire la grenouille ! Redondo à genoux… Muleta dans le dos, très près… Entregado… Vale ! ».
Rafael : « À genoux … Voilà ! Pico… Par derrière… Recommence… Voilà !!! ».
Dernier coup de ciseaux pour cette excellente vache. Le maestro Tibo Garcia, muleta en main, la raccompagne. La becerra a dû prendre 500 passes et une coiffure, mais elle veut rester dans le ruedo.
Une gourmande ! Ils continuent, tous les deux, dans le campo attenant, elle en veut encore, c’est magique, sous cette belle lumière du soir.
Nino continue à donner d’excellents conseils aux élèves qui plient leurs affaires.
Le Maestro Tibo Garcia, tout sourire, nous confie avoir envie de parler aux élèves, car il est déjà passé par ce chemin, puis a connu des moments difficiles, ensuite. Alors, il souhaite transmettre un message aux plus jeunes, pour qu’ils puissent gagner du temps, profiter de cette formidable opportunité qui leur est donnée cette semaine : la brioche, le beurre et la confiture se transforment souvent en pain sec… quand il y a du pain qui reste !
Notre retour est rythmé par Enrique Morente, chantant « Refugio », arrangé par Dorantes. Le campo défile au travers des fenêtres, sous une lumière parfaite, les montagnes de la Sierra de Francia enneigées en fond… Un pur régal…
(Chanquette – Photos : Jean-Luc Jouet et Chanquette)