CFT
Aujourd’hui, là-bas c’est Día de Andalucía, mais cela me laissait de marbre. Il semblait qu’il faisait moins froid. Mon copain dominicain du bar me l’a confirmé, tout de suite à mon entrée dans le bar. -1 degré, normal donc !
Tous les élèves étaient déjà là. Finissant leur petit déjeuner, boisson chaude, tostada, jus d’oranges fraiches, ils venaient surtout de récupérer leurs portables respectifs et en prenaient une petite dose, avant de démarrer la journée.
Dans le même temps, le Maestro Juan Leal était en route pour nous rejoindre. Depuis quelques années, il nous faisait l’amitié de passer quelques jours avec nous, durant le stage. Il était prévu qu’il arrive vers 13h.
La tienta du jour, prévue dans la ganadería de Juan Luis et Carolina Fraile, devait débuter à 16h. C’était bien tard, mais, nous n’avions pas possibilité d’avancer l’horaire car Carolina nous avait indiqué que le ruedo était gelé jusqu’à 13 heures ! Nous pressentions que la fin de séance serait glaciale, ce qu’elle fut… bien plus que prévu. De plus, la réputation du bétail de Carolina la précédait : c’était toujours piquant.
Les élèves sont partis pour faire un footing puis ne sont plus réapparus… ils ont tout simplement escamoté l’entraînement physique. Il se résuma à une partie de football. Malheureusement, il aurait fallu s’entraîner fort, à courir en arrière, par exemple, car hier, on avait touché du doigt l’extrême manque de recours que presque tous les élèves affichaient lorsqu’une vache leur courait dessus un peu rapidement. Cela faisait des lustres que les professeurs le leur disaient. Mais, peut-être attendaient-ils le miracle, la révélation spontanée, le don de dieu, pour doubler le Maestro Fandi, sur son propre terrain ! Le professeur le plus efficace pour s’en rendre compte, au final, c’est le toro !
Dans le même temps, le Maestro Le Sur se battait en téléphonant en France pour tenter de décrocher des novilladas pour les élèves. C’était de moins en moins facile, car les organisateurs se faisaient rares, les candidats novilleros toujours plus nombreux et plus compétents, le montant du budget pour monter un spectacle atteignait des sommets… bref, plus facile d’apprendre à mon toutou à refermer la porte derrière lui quand il entrait dans la maison… quoique !
Carolina, que j’ai fini par surnommer la « Lucky Luke espagnole », est la seule personne, dans toute la péninsule ibérique, qui parle plus vite que son ombre ! Ce qui était très amusant, au début de nos rencontres, c’est que lorsque nous lui demandions de parler plus lentement, elle répétait plus fort, mais pas moins vite ! Du coup, il faut s’accrocher pour la comprendre, mais, peu à peu, on s’y habitue.
Carolina, je l’ai connue à Madrid où elle fréquente le même tendido que moi. Elle y vient toujours très élégante, avec le petit sac baguette, les talons hauts, au bras de son cher mari, Pepe, un homme très gentil qui connait les meilleurs restaurants du pays. C’est une femme assez timide, qu’il faut connaître. Mais, le premier jour où je suis allée à la ganadería familiale, j’ai retrouvé « ma » Carolina, sur le tracteur, distribuant du foin à ses toros, bonnet vissé sur la tête, bottes pleines de boue, très affairée pour faire marcher tout ça à la baguette (- pas le sac !).
Juan Luis, lui, je ne l’ai pas trop fréquenté, car c’est un homme du campo, très très timide, qui s’active pour ses toros et qui ne semble pas avoir goût pour les rapports humains, surtout quand il ne les connait pas. La vie est rude dans ces contrées. Les installations sont spartiates et tous les moyens sont consacrés aux animaux, qui sont traités plus que parfaitement. Ça se voit immédiatement, dès l’entrée dans la finca. Ici, les toros en imposent, ils sont bien nourris et prêts à la lidia à tout moment. Point de période d’engraissement, comme certains peuvent être tentés de le faire, avant une course. Là, c’est du naturel, sans fundas, au gré des saisons. C’est du « naturel et bio », comme dirait le bobo parisien, s’il enlevait ses lunettes anti-taurines.
13h, le Maestro Juan Leal arrive, toujours souriant. Il vient de Séville, a conduit seul, mais, pour lui, c’est du normal. Il hante la Vía de la Plata, toutes les semaines, pour venir tienter dans le campo charro. C’est un homme très agréable, qui s’intéresse aux activités du CFT et qui a toujours aidé les jeunes, avec une disponibilité de tous les instants. Le Maestro Le Sur lui fait un résumé des 2 jours passés.
13h30, nous passons à table et nous régalons d’un ragout de costillas con patatas. Puis, vient l’incontournable polémique sur comment se nomme le café, con leche, cortado, manchado, de maquina, etc… qui ne trouve jamais de solution.
15h15 : le convoi démarre, nous sommes à 20 minutes de notre destination.
15h50 : nous arrivons à Cojos de Robliza. Il fait un froid de gueux. Mais, le plus terrible, c’est qu’il n’y a aucune vache en attente dans les coraletas. Juan Luis arrive et nous fait un petit signe de la main, de loin. Il a en main un long bâton avec un chiffon, pour faire progresser les vaches potentielles qui doivent être tientées. Il est avec le vaquero. Puis surgit Carolina !
« Vaca… ha… cha cha cha cha cha !!!... » aux bruits de portes métalliques qui s’ouvrent, se referment… Les vaches sont plutôt fortes… Elles sont d’origine María Cascón leur grand-mère). Mais, surtout, elles sont en pointe, ça, ce n’est pas possible pour les « petits ». Du coup, les deux Maestros partent rápido vers un couloir étroit, qui permet de rectifier les cornes avec une scie à métaux, car c’est un élevage qui se refuse de le faire habituellement. Mais, cela nous permettait une peu plus de tranquillité car l’hôpital de Salamanca n’est pas très proche !
Pendant ce temps, le picador préparait son cheval, on n’était pas couchés !
Cette séance capillicole prenant un certain temps, ce n’est qu’à 16h32 qu’a débuté la séance. Tout ce temps perdu ne pourra se rattraper, nous allions le comprendre très vite.
1ère vache : 16h32 : forte mais bonne
Clément, Matthieu.
fin : 16h55
À la pause, le maestro Juan Leal montre à Matthieu et aux autres comment tenir la muleta pour aspirer la vache.
2ème vache : 17h : forte mais aussi bonne
Rafael, Valentin Clovis.
Puis tout-à-coup, quelqu’un appelle Juan Luis qui s’est installé dans le palco, sa sœur à l’autre bout. Il répond en parlant très fort à son copain au téléphone, tout en parlant, il ouvre furieusement la fenêtre « sacarla, sacarla…« , puis continue sa conversation, tout aussi fort, c’est assez rock’n’roll comme tienta !
Il se met à hurler car il veut la voir toréée et crie sur Carolina, disant qu’on va lui tuer sa vache si on continue à la laisser au picador.
Carolina : » despacio, no tenemos prisa« .
La vache reste bouche fermée jusqu’au bout.
Juan Luis n’arrête pas de téléphoner, mais vu le niveau sonore, son interlocuteur doit réussir à l’entendre sans téléphone, c’est très drôle.
fin : 17h28
Tous les élèves sortent des burladeros en sautillant pour essayer de se réchauffer mais en vain.
3ème vache : 17h29 : haute, forte, vive.
Elle sort comme une bombe.
Valentin, Gauthier, Robin, Baptiste, Matthieu.
Pour stopper la vache au milieu du ruedo, Juan Luis et Carolina, chacun de leur côté, tapent sur les baies vitrées, très très fort ! Du hard rock. Pour ma part, même si j’ai une tenue qui me permettrait de tenir à Kangerlussuaq au mois de janvier, je commence à avoir une crampe au pied gauche, à cause du froid, qui me force à faire les 100 pas, tout en essayant de ne rien perdre du spectacle.
Car, du spectacle, ces excellentes vaches nous en donnent, c’est un vrai plaisir.
Les Maestros Leal et Le Sur se partagent les recommandations.
Le soleil apparaît, c’est comme dans le film « miracle à Milan « .
Fin : 17h53.
4ème vache : 17h55 : haute, forte, noble
Plus faible après les puyas.
Gauthier, Simon.
Crampe au pied droit !
Fin : 18h15.
5ème vache : 18h19 : encore une excellente vache noire.
Les petites chaufferettes sont les bienvenues dans la poche.
Nino, Manuel.
On termine tous en sautillant pour tenter d’avoir moins froid, peine perdue !
Je songe que tous ces toreros sont fous pour continuer par ce froid polaire. Je vais me renseigner, car au Groenland, les Inuits collectent la laine des bœufs musqués sauvages. Ça pourrait peut-être les intéresser nos toreros, finalement, ce genre de sport d’hiver !
Fin : 18h43.
6ème vache : 18h46 : La plus forte, fuyarde, mais s’emploie au cheval finalement.
Clovis qui a tienté chez Pedraza de Yeltes ce matin. Grosse journée. Manuel.
Est-ce que les vitres vont tenir jusqu’à la fin de la tienta ? C’est la question, car ils tapent très fort, mais ça fixe les vaches, c’est efficace !
Soleil couchant.
La vache commence à n’en plus vouloir, mais Clovis continue.
Manuel essaie, mais la vache n’en veut plus.
La vache veut sortir, moi, ça m’arrangerait car j’ai aussi froid qu’un marin d’Ernest Shackelton arrivant à Grytviken en Géorgie du Sud !
Rafael pour quelques passes excellentes et arrêt des jeux ! 19h07. Il fait 3 degrés, ressenti 0…
Très vite nous quittons la famille Fraile. Nous nous engouffrons dans les voitures, chauffage à fond jusqu’à l’hôtel pour essayer de retrouver une sensation de pieds, de mains et commencer, déjà, à imaginer demain…
¡ Otro día de toros !
(Chanquete – Photos : Jean-Luc Jouet et Chanquete)