PATRICE
Un brouillard de schnaps enveloppait Hambourg.
L’air froid contenait la moiteur qui s’évadait des tavernes bruyantes de musique.
Loin de la calle del Cerro de Trebujena où il était né, loin de la banda municipal qui accompagnait ses débuts.
Juan marchait en titubant insensible aux sollicitations des putes.
Il était exténué et avait besoin de sa dose.
Il entra dans un bar.
Au hasard.
Par instinct.
Pas comme il le faisait lorsqu’il allait à la « Casa Pepe » de son pueblo.
À l’intérieur, une concentration éthylique lui coupa le souffle.
Elle lui rappela une odeur.
Celle de l’éther d’Argamasilla de Alba.
Sur la scène, un groupe de hard-rock.
Sueur chaude.
Pas celle du patio de caballos.
Et tentant de dépasser les clameurs d’un public de media borrachera, une blonde platine criait un blues de merde.
Le « No tienes cojones, maricón ! » d’Argamasilla de Alba lui revint en mémoire.
Il vomit.
Juan Heroina.
Naufragé de la nuit.
Naufragé des toros et du manque de ses veines.
Il resta à la regarder pendant quelques minutes puis se décida à descendre au sous-sol.
Dans un décor de faïences blanches, des fantômes se plantaient des aiguilles au-dessus de lavabos.
Juan acheta de quoi résoudre son mal-être qui s’était imposé à lui depuis trop longtemps.
Depuis cet après-midi d’août à Argamasilla de Alba.
Quand il s’appelait encore.
Juan González Lucas «Fosforito».
L’overdose l’attendait au carrefour de cette nuit.
Comme l’avait attendu cette vieille vache à laquelle ils avaient cousu des couilles.
Et qui l’avait à jamais rendu infirme et minable.
Le lendemain de cet après-midi.
Il avait quitté l’Espagne pour toujours.
Pour devenir Juan Heroina.
Ce soir là, à Hambourg..
Juan devina une présence.
La blonde l’invitait.
A suivre.
Patrice Quiot