« … Après Medina Sidonia, on a filé sur Jandilla en empruntant une route zigzaguant à travers un polypier de ganaderías dont les noms, pour tout aficionado, sont la plus belle des musiques et les fers les signes cabalistiques que sa mémoire retient, gravés au cœur et qui le sont au feu sur le flanc des toros.
 
Montjoie ? Saint-Denis ? 
 
Non, mais ça chante aussi haut : Bohórquez, Camacho, Salvador Domecq, Álvaro Domecq, Nuñez, Manolo Álvarez… 
 
En Andalousie, en Estrémadure, en Castille, il pèlerine, l’aficionado, et son cœur saute lorsqu’il voit, gravé sur les blancs piliers du porche qui ouvre sur la finca ou la dehesa, le fer noir d’une ganadería. 
 
Parfois, cette chance : il aperçoit, piquées sur une colline ou dessinant au haut d’une crête des lavis d’ombre sur le ciel bleu, des taches noires et ce sont des toros braves qui paissent, tranquilles, grains de beauté sur le corps de cette géante pâmée au soleil : la terre d’Espagne. 
 
On a bu tout de même une copita dans une auberge et rempli d’essence le ventre de la Mercedes de Pepe, aussitôt repérée par trois ou quatre gamins postés sur ces chemins de Compostelle taurins. 
 
Une Mercedes ? Quatre hommes à l’intérieur ? Sûr qu’il y a une tienta dans le coin et peut-être même un matador dans la voiture… 
 
L’un des gamins, muleta rouge roulée sous le bras enveloppant l’épée, demande :
 
« Vous allez à une tienta ? Vous m’emmenez ? »
 
« Non, niño, pas aujourd’hui. » Gentiment dit.
 
La famille taurine est douce à tous les gosses qui rêvent d’être toreros et, sait-on jamais, qui le seront peut-être un jour. Ils sont nombreux, ceux qui sont devenus «figuras » ou membres ennoblis par l’habit d’or ou d’argent, et qui eux aussi ont parcouru les routes, campé aux portes des plazas ou couru la nuit à travers la campagne en agitant, sous la lune, des muletas devant veaux, vaches, toros et le grand Ojeda lui-même a joué à ces jeux, du temps de ses culottes courtes. 
 
Le niño n’a pas insisté et a repris sa station. 
 
Ses copains nous ont vendu, pour quelques douros, des bottes d’asperges sauvages. 
 
« Álvaro Domecq ! dit El Vito. Tu sais que c’est avec un de ses toros que j’ai inventé la pénicilline, en 46, à Jaén. 
 
Je m’étais fait attraper et j’étais mort. Le curé est arrivé pour m’administrer l’extrême-onction et me confesser.
 
Il ne m’a pas dit que j’allais mourir, mais qu’il connaissait mon père, que peut-être j’avais fait des bêtises et que je pouvais les lui confier, à lui, curé, comme s’il était mon père. 
 
J’ai compris, moi, qu’il voulait m’administrer parce que j’allais mourir et je lui ai dit :
 
«Padre, j’ai vingt ans et je suis torero. Alors, quels péchés voulez-vous que j’aie commis, à mon âge et avec ce métier ? » 
 
Il m’a béni et la pénicilline a fait le reste.
 
J’ai été le premier torero pénicilliné et ça mériterait une statue. 
 
Ensuite à Fuente León, un novillo de Miura ne m’a pas fait un cadeau. 
 
Puis, en 47, un toro du marquis de Contadero… 
 
On dit Miura, Fraile, Guardiola… 
 
Oui, oui, d’accord, mais ce n’est pas vrai parce que tous les toros sont dangereux. 
 
Tous. »
 
Jean Cau
 
« Sévillanes »/1987.
 
Datos 
 
Jean Cau, né le 8 juillet 1925 à Bram (Aude) et mort le 18 juin 1993 à Paris VIe, est un écrivain, journaliste et polémiste français.
 
Secrétaire de Jean-Paul Sartre de 1946 à 1957, il écrit dans Les Temps modernes, puis est journaliste à L’Express, à France Observateur, au Figaro Littéraire et à Paris Match. Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, romans, essais, pamphlets et pièces de théâtre, ainsi que de plusieurs scénarios de film.
 
Il reçoit, en 1961, le prix Goncourt pour son roman La Pitié de Dieu.
 
Jean Cau était un passionné de tauromachie. Il consacra à cette forme de spectacle de nombreux livres et articles, dans lesquels il exprime son attachement envers un art qu’il estimait être l’héritage ancestral de rites et de jeux païens avec l’animal sauvage.
 
Ses périples de férias espagnoles en férias françaises lui inspirèrent, notamment, Les Oreilles et la Queue, Sévillanes et La Folie corrida.
 
Julio Pérez “El Vito”
 
Camas, Sevilla, el 24 de enero de 1928.
 
Debut en público: en Ubrique el 9 de abril de 1944. Le pagaron con 5 pesetas y un jamón.
 
Presentación en Las Ventas: El 14 de abril de 1946 en Madrid junto a Manuel Perea y Parrita.
 
Alternativa: El 1 de septiembre de 1946 en Valencia. Padrino: Carlos Arruza. Testigo: El Choni. Toro Sorillero, de Felipe Bartolomé.
 
Confirmación: El 3 de octubre de 1946 en Madrid. Padrino: Curro Caro. Testigo: Carlos Arruza.
 
Temporadas 1947-50: Como matador salió a hombros de las plazas de Madrid, Sevilla, Valencia, Bilbao, Barcelona… Torea con todas las figuras, sufriendo dos graves cogidas en Jaén (1946) y Sevilla, por un toro de Guardiola el 20 de abril de 1947.
 
Como matador alternó con las figuras del momento: Pepe Luis Vázquez, los Bienvenida, Pepín Martín Vázquez, Manolete, Luis Miguel Dominguín, Gitanillo de Triana, Paquito Casado, Luis Álvarez El Andaluz, Manolo Vázquez, Gallito …
 
De banderillero: En 1951 se va a México y comienza su larga y exitosa carrera de banderillero pues es considerado uno de los mejores de todos los tiempos. Sobre todo a las órdenes de Miguel Báez Spuny “Litri” y Jaime Ostos. Formó pareja insuperable con Luis González.
 
Una vez retirado se convirtió en uno de los veedores más prestigiosos de la cabaña brava española.
 
Fallece en Sevilla el 29 de junio de 2016, a los 88 años.
 
Patrice Quiot