PIQUE
Voici quelques réflexions personnelles d’un vétérinaire aficionado…
Face au projet de loi pour l’abolition de la corrida, la réaction et l’organisation du monde taurin a été remarquable : clubs taurins, ONCT, UVTF, AFVT, ganaderos, professionnels, organisateurs etc. ont occupé la rue, mais surtout les médias. Les radios, les chaines de télévision et la presse écrite nationale comme régionale ont eu le mérite d’expliquer aux français la réalité de la corrida. La plupart des émissions m’ont semblé plutôt positives pour l’avenir de la tauromachie et si le débat n’est pas clos, les intervenants ont bien défendu les élevages de toros, leur impact sur la protection de nos territoires, l’attachement à nos cultures, le sens de la fête et le seul spectacle qui montre la mort certaine du toro et la mort possible du torero. Le témoignage de jeunes toreros a certainement excité la curiosité de nombreux citoyens à qui nous pouvons dire : allez voir dans votre vie une corrida et faites-vous votre opinion. André Viard a écrit : « la meilleure défense de la corrida, c’est d’y aller ! »
Alors déjà la plupart des aficionados crient victoire, je mettrais un point d’interrogation après le mot victoire.
Dans la bouche de nos opposants reviennent les mêmes mots : souffrance et torture.
Le bien-être animal repose sur cinq principes :
1) l’absence de faim et de soif,
2) le confort physique,
3) la bonne santé et l’absence de blessures ou de douleurs,
4) la possibilité d’exprimer le comportement normal de l’espèce,
5) l’absence de peur et de détresse.
Si nous avons su défendre les principes 1-2-4-5, quand Caron nous a attaqué sur la souffrance et la torture, nos arguments ont parfois été plus difficiles à présenter.
L’opposition anti-corrida va certainement poursuivre son action. Notre président de la République a dit : il ne va pas y avoir l’interdiction demain… On doit aller vers une conciliation, un échange… Dès qu’on est dans l’invective ça ne marche pas… Et déjà on entend une petite musique : on pourrait faire des corridas sans mise à mort, on pourrait organiser des spectacles sans piques, sans banderilles, sans estocade, « sans souffrance ni torture », ce qui d’une certaine manière annonce la fin des corridas de toros.
Débat souffrance et torture : comment trouver les mots ?
Souffrance et douleur, 2 mots synonymes ?… un peu de science ! Nous, vétérinaires, sommes bien placés pour en parler.
Dans mon livre « Vétérinaire et aficionado », je fais souvent référence aux publications de l’INRA et à Denis Durand, co-auteur qui a participé avec Brigitte Picard aux travaux INRA AFVT sur les problèmes de faiblesse des toros pendant la corrida (Vous trouverez les références ci-dessous).
Nul ne peut affirmer que le toro ne souffre pas dans les 5 traumatismes subis : la pique, les banderilles, l’épée, le descabello, la puntilla.
Au cours de nos interventions chirurgicales, nous savons que les bovins expriment peu leurs douleurs, le cortex cérébral des bovins n’a pas les mêmes caractéristiques que celui de l’homme.
Dans les 2 premiers tercios, la blessure du cuir est à l’origine d’une douleur aigüe, les muscles sont peu sensibles. C’est une alerte transmise par les messages nocicepteurs qui par la moelle épinière arrivent au cerveau. C’est la composante sensorielle de la douleur qui « inonde » le cortex cérébral. Vient ensuite une composante émotionnelle de la douleur qui se traduit chez les bovins domestiques par la fuite ou l’évitement, chez le toro de combat par l’agressivité : le toro de combat a été sélectionné pour son agressivité naturelle. La douleur de la blessure du cuir par la pique puis par les banderilles entretient son agressivité tout au long de la lidia.
Avec la douleur et le stress du combat s’installe alors un bouleversement hormonal avec augmentation de la sécrétion de cortisone, nor-adrénaline et d’opioïdes endogènes (beta-endorphine) etc. qui atténuent la conscience de la douleur.
Le toro oublie, espérons-le, sa douleur devenue tolérable dans l’action pendant laquelle il exprime son comportement (principe 4).
La corrida peut-elle évoluer ?
Il faut porter un regard neuf sur le tercio de piques dont le but est de fatiguer le toro par les efforts de poussée, de voir sa bravoure et de créer une douleur qui va entretenir son agressivité naturelle.
Si la blessure du cuir s’oublie vite, les blessures profondes peuvent générer des dégâts collatéraux inutiles, parfois invalidants, et une hémorragie qui pénalise la « duración ».
Moins de sang, moins de blessures, plus de rencontres pour que la fête commence au premier tercio : cette phrase devrait faire consensus.
Pour retrouver un public, et notamment un public jeune, il faut que les toros saignent le moins possible.
2 propositions :
– Une modification des dimensions de la pique pour blesser le cuir, éviter les blessures profondes inutiles, réduire l’hémorragie et conserver plus de mobilité.
– De même l’utilisation d’un pistolet d’étourdissement suivi de la puntilla pourrait être expérimenté : nous détestons tous les coups de puntilla répétés.
A l’occasion de l’AG de l’Association Française des Vétérinaires Taurins le 25 mars 2023, Denis Durand de l’INRA est invité à nous parler de la douleur ressentie par le taureau de combat et à nous préparer à de futures confrontations.
Réfléchir sur ce que pourrait devenir le tercio de piques, nous avons perdu beaucoup de temps. En 1998, l’Union des Éleveurs de Toros de Lidia (UCTL) et le vétérinaire Julio Fernández Sans publiaient une étude sur les lésions produites par la « suerte de varas » pendant la San Isidro, 90 toros examinés : 95.3% des « puyazos » dans la « cruz », les épaules, le dos. Moyenne des trajectoires 17.49 cm, moyenne du nombre de trajectoires par toro 3.54, profondeur totale 61.91 cm, etc.
En 2003, à l’occasion du congrès mondial des ganaderos en Arles, Victorino Martín père déclarait à la tribune du congrès : les éleveurs demandent un tercio de piques moins destructeur qui préserve l’intégrité du toro. Il faut que les éleveurs s’adressent à tous les protagonistes du spectacle, managers, toreros, picadors, organisateurs pour qu’ils unissent leurs forces afin de sauvegarder le tercio de piques et le taureau de combat… On est en 2023 !
Amicalement
Hubert Compan Dr Vétérinaire membre de l’AFVT
Bibliographie :
Douleurs animales, les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage
INRA productions animales, douleurs animales, les mécanismes
INRA productions animales, évaluation et traitement de la douleur chez les ruminants
Vétérinaire et Aficionado – Aficionado et Vétérinaire. hubertcompan@wanadoo.fr