PATRICE
Daube ; paella ; rouille.
Cartel incontournable des tables des ferias du Sud-est.
Aroma de temporada.
Alors.
Pour la daube, chef de lidia,
Ce brindis :
« Il y a bien sûr les cuisiniers :
Jean-Baptiste Joseph Marius Reboul (1862-1926), dans « La cuisine provençale », engage à retirer les morceaux de viande de la marinade et de les faire revenir vivement dans de l’huile d’olive avant de les confire en les « bouléguant » avec de la farine, le tout à feu vif. Après avoir trempé cela de marinade, on laisse bouillir un moment, en écumant régulièrement, pour retirer les miettes solides, pendant que l’alcool s’évapore. Escudier paraît plus paresseux en posant les morceaux stratifiés de viandes et de légumes sur un lit de lardons, et en laissant le mélange des sucs se faire avec la circulation des liquides à l’ébullition.
Escoffier, le grand, considérait le plat de côtes désossé comme le morceau de bœuf le plus savoureux pour le goulache et le bourguignon, alors que sa préférence était marquée pour le paleron et le gîte à la noix, lardés de poitrine roulée dans du persil et de l’ail broyé, pour la daube à la provençale ou à l’estouffade.
Mais Il n’y a pas qu’eux.
Il y a aussi les littérateurs avec, en tête de cortège, les Provençaux : Mistral, Daudet, Giono, Pagnol qui en évoquant la daube travaillent, chacun à leur manière, à l’invention d’une Provence authentique.
Dans Ennemonde, Giono en fixe le mythe littéraire :
« L’Hôtel des Tilleuls où allait Ennemonde avait gardé les traditions, on continuait à y manger à la table d’hôtes et le plat unique, du 1er janvier à la Saint-Sylvestre : le bœuf en daube. Il cuisait sans arrêt pendant 365 jours et 365 nuits dans un énorme chaudron pendu dans l’âtre de la salle à manger. Le feu ne s’éteignait que dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier : alors, on vidait le chaudron, on le nettoyait, on mettait en marche la daube de l’année nouvelle ; on rallumait le feu et vogue la galère. »
Avec Ennemonde, Giono décrit la gloutonnerie licencieuse d’une femme de tempérament qui dirige tout dans sa maisonnée et que rien n’effarouche ; elle assassine son mari, qui dérivait dans la folie des bergers, pour se jeter dans une liaison passionnée avec un athlète de foire, un certain « Clef-des-cœurs ».
Une femme virile en somme qui, les jours de marché, après qu’elle y eut vendu ses moutons, mangeait à l’auberge la fameuse daube :
« Elle aimait par-dessus tout cette sauce lourde, mordorée, de lard fondu et d’huile vierge. Elle prenait chaque fois la précaution d’emporter de chez elle une cuillère à soupe cachée dans son corsage, et à table elle la sortait pour boire la sauce comme du bouillon. […] Elle s’abandonnait à un vertige semblable à celui qui l’enivrait sur la route. Elle se voyait en train de scandaliser cette bourgade cafarde. Elle n’allait plus se frotter à des ciels, à des hauteurs, à des couchants, à des aurores, mais à des hommes sentant le bouc. »
Parce qu’elle contient beaucoup de viande, de surcroît marinée au vin, une affaire d’hommes ou d’exceptionnelles bombances associées à l’ivresse, la daube est un de ces plats chauds à réveiller les morts et fortifier les vivants.
Un plat du péché, de la vigueur sexuelle, comme cela nous est décrit chez Giono ?
Longuement mijotée, odorante, si fondante qu’elle peut se manger, dit-on, à la cuillère, elle en impose par une sauvagerie s’exprimant sous la forme d’une bestialité d’appétits dionysiaques.
Quant à l’indispensable thym qui parfume la sauce « c’était le thym, qui pousse au gravier des garrigues : ces quelques plantes étaient descendues à ma rencontre, pour annoncer au petit écolier le parfum futur de Virgile » écrit Pagnol.
« E manjon la broufado espesso e forto Que i’es lou bion empiela sus li cebo ; E di palabourdoun fan bello brifo e picon au pechié » écrit Mistral.