PATRICE
« On peut dire, en vérité, que ce spectacle a quelque chose de barbare, mais on peut affirmer qu’il n’en est pas un seul capable de fortifier davantage le cœur. »
Gaspar Melchor de Jovellanos (1744/1811).
« Les courses de taureaux ont beaucoup contribué à maintenir la valeur du peuple espagnol. »
Considérations sur le Gouvernement polonais/ J.-J. Rousseau (1712/1778).
« L’on a dit et répété de toute part que le goût des courses de taureaux se perdait en Espagne, et que la civilisation les ferait bientôt disparaitre; si la civilisation fait cela, ce sera tant pis pour elle, car une course de taureaux est un des plus beaux spectacles que l’homme puisse imaginer. »
Tras los Montes/Théophile Gautier (1811/1872).
« Ce matin, je ne comprenais pas que les yeux des femmes espagnoles pussent s’arrêter sur cette arène ; en ce moment, il me semble qu’il n’est pas une héroïne de Calderón, de Lope de Vega, de Rojas, qui n’ait assisté, au moins une fois, à une corrida de novillos.
C’est dans cet amusement qu’elles ont trempé de bonne heure leur âme tragique. La Chimène du Cid n’a-t-elle pas une goutte de sang de taureau dans le cœur ?
Qui voudrait le jurer après avoir lu les romances ?
On croit que cette férocité va mal avec l’amour. Oui, avec l’amour de Florian, mais non avec celui de Calderón.
Il n’est pas un amant passionné qui ne préférât cent fois voir la femme qu’il aime assister á ce carnage, plutôt qu’à ces petites pièces bourgeoises, demi-fades, demi-obscènes, où nos grandes dames vont perdre non la pitié, mais la pudeur et la hauteur de l’âme.
Ce spectacle, si fortement enraciné dans les mœurs, n’est pas un amusement, c’est une institution.
Elle tient au fond même de l’esprit de ce peuple.
Elle fortifie, elle endurcit, elle ne corrompt pas.
Qui sait si les plus fortes qualités du peuple espagnol ne sont pas entretenues par l’émulation des toros, le sang-froid, la ténacité, l’héroïsme, le mépris de la mort ?
Dans les légendes du Nord, Siegfried, pour être invincible, se baigne dans le sang du monstre. Ni le souffle du Midi, ni la galanterie des Maures, ni le régime monacal n’ont pu amollir l’Espagne, depuis qu’elle reçoit l’éducation du Centaure.
De combien de jeux dissolus ces jeux robustes ne l’ont-ils pas préservée ? Le taureau a toujours combattu avec elle.
Son front orné d’une devise d’argent et d’or, il a vaincu Mahomet, Philippe II, Napoléon.
Si j’étais Espagnol, je me garderais bien de porter, au nom des subtilités nouvelles, la moindre atteinte á ces jeux héroïques ; je voudrais, au contraire, leur rendre tout leur lustre.
Supprimer, comme quelques personnes vous le conseillent, les courses de taureaux, vous voilà aussitôt envahis par le théâtre étranger, le vaudeville, les propos á double sens, les fadeurs et les obscénités bourgeoises.
Sans compter que le véritable art trouve infiniment mieux son compte dans le coup d’épée de Montes que dans tout cela ; vous vous énervez et vous ne vous civilisez pas.
Je n’entends jamais les étrangers inviter l’Espagne á se défaire de ses corridas sans penser à la fable du lion qui raccourcit ses ongles. »
Mes vacances en Espagne/Edgar Quinet (1803/1875).
Patrice Quiot