PATRICE
« … L’existence de ce taureau qui prend fin sous nos yeux nous donne une leçon. L’arène s’est transformée en théâtre de la vie. Ceux qui refusent de la voir ainsi, useront leur salive dans un inutile plaidoyer contre ce qu’ils nommeront « la cruauté humaine », croyant défendre une cause qu’ils ne comprennent pas, une nature dont ils ignorent tout.
Dans ce monde où s’affrontent les idées, où les écolos combattent les aficionados, où ceux qui se prennent pour les défenseurs de la cause animale s’élèvent avec force contre ces pratiques et cette tradition, on oublie de regarder l’animal pour ce qu’il est. Ces amoureux de « la nature », ne regardent pas la nature elle-même, mais l’image qu’ils veulent en voir. Ils ne regardent pas l’animal, mais un prolongement d’eux-mêmes, imaginant que respecter un animal, c’est le traiter comme un être humain. Ils s’imaginent dans l’arène, comme au temps des gladiateurs, avec leur vision d’un monde sans violence, désarmés face à un adversaire redoutable.
Le combat entre le taureau et le « toréador », ne se résume pas à une comparaison entre les armes, il ne se résume pas non plus à la justice, ou à la violence de la situation, ni même à l’utilité des traditions dans notre monde. La sauvagerie est animale, le combat côtoie partout la vie animale. La nature originale n’existe plus, elle se transforme à chaque instant, elle est la vie qui évolue.
Dans ce monde où, tout finit par être façonné par l’homme à son image, le mot « nature » devient un prétexte pour se donner bonne conscience. Nous avons perdu le sens de notre vie, trop occupés à chercher le confort, la reconnaissance, et l’immortalité. Le taureau de combat, lui, est la nature à l’état brut. Il est programmé pour vivre, se reproduire, combattre, et mourir. C’est sa nature à lui, et sa vie y est conforme. Combattre dans une arène n’est certes pas « naturel », mais pour le taureau, cette mort-là aura plus de sens, que celle d’un taureau exécuté dans un abattoir ; même si la morale se satisfait d’avantage du côté aseptisé de la mort des animaux dans ces temples de la consommation alimentaire.
Aujourd’hui, on mange la viande comme n’importe quel autre aliment, pour son goût, pour ses qualités nutritives, pour ses habitudes. Mais il est fini le temps où l’on avalait l’animal chassé puis tué. Le temps où la viande n’était pas un aliment, mais un moyen de survie, un moyen de continuer à vivre. Aujourd’hui, on élève puis on abat, puis on déguste. Aucune de ces morts n’a de sens. Nous sommes programmés pour manger de la viande, mais nous nous sommes détournés de l’activité majeure de nos ancêtres : la survie. Nos prédateurs sont d’une nature différente.
La société, ses stress, la course à l’argent comme seul garant de notre survie, ont fait de nous des êtres à contre-courant de notre nature. Nous trouvons sans cesse des artefacts nous permettant de compenser les incohérences de nos vies. La nature telle qu’on se la représente, n’est plus de ce monde ci.
Combien de temps reste-t-il encore à ces taureaux de combat, témoin d’un temps où un morceau de viande voulait dire un morceau d’animal que l’on a tué, un temps où cela se calculait en temps de survie avant la prochaine chasse fructueuse.
Messieurs les avocats de la défense des droits de l’animal, vous vous trompez de cause, d’accusé, et de procès. Comment dénoncer l’existence des corridas, et accepter celle des abattoirs ? Votre quête a perdu tout sens, elle repose sur un point de vue intellectuel qui ignore la trivialité de votre propre existence. Tel un dictateur qui sait qu’il ne pourra convaincre la majorité, et impose sa vision du monde par la force. S’il était en votre pouvoir d’imposer le végétarisme au monde entier, vous le feriez sans doute, ignorant que vous signeriez ainsi la disparition de toutes les espèces animales que l’homme consomme.
Pour que les taureaux de combat vivent, il faut tuer des taureaux de combat dans les arènes. Ainsi va la logique du monde. La mort des quelques centaines de taureaux courageux choisis pour affronter les toréadors, assure la survie de milliers d’autre, élevés sur les terres et sous le soleil de l’Andalousie, et d’ailleurs.
N’en déplaise aux militants de la cause animale, l’homme d’aujourd’hui est garant de la survie des animaux. La nature ne peut plus se suffire à elle-même, et ignorer le monde dans lequel elle vit. L’adaptation à l’environnement a depuis toujours fait évoluer les espèces. L’homme a toujours été un prédateur, et il l’est toujours. Il y a de nombreuses façons de tuer les animaux. Dans un abattoir, dans une arène, dans la forêt… et dans les tribunaux ! Car finalement, les plus grands assassins d’animaux ne seraient-ils pas ceux qui veulent empêcher qu’on les tue ?
Certains refusent de voir la partie de l’homme qui le pousse à chasser, à combattre et à tuer, et prétendent que notre cerveau reptilien, siège de nos émotions primitives, n’a pas le droit de s’exprimer, alors qu’il conditionne notre survie. »
Sophie Malakian
(Texte paru le 10/09/15 sur le site internet du « Midi Libre » ; texte publié par l’ONCT – Observatoire National des Cultures Taurines – en mai 2015.)
Datos
Sophie Malakian, fille d’Henri Verneuil, est vétérinaire et exerce à Ermenonville. Elle a vécu pendant 18 ans en Guadeloupe où elle a exercé la médecine et la chirurgie des animaux de compagnie, ainsi que des animaux de rente. Elle y a également créé un Haras et un centre équestre dans lequel elle a élevé chevaux et poneys, et qui proposait cours, promenades et compétitions.
Revenue en France Métropolitaine elle exerce l’ostéopathie cognitive et la dentisterie équine ostéopathique.
« Mon expérience de vétérinaire m’a permis d’en apprendre beaucoup sur les animaux et leurs comportements. Ma passion pour les animaux depuis mon plus jeune âge m’a donné une vision non anthropomorphique de l’animal et de sa psychologie, et une vision pragmatique de sa place dans notre société, ce qui ne m’a pas empêché de garder un grand amour et un grand respect pour la cause animale dont je reste une fervente et sincère défenseur. »
Patrice Quiot