PATRICE
« … C’est le fils d’un huissier de préfecture, d’un employé d’administration ; ce n’est pas un péché, vous savez : c’est la preuve de sa vaillance et de son intelligence, ce qui est parfait ; mais vous savez aussi que l’administration regarde de travers les enfants qui aiment les coutumes et qui parlent la langue de leur contrée. A l’école, elle le défend et je n’ai rien à dire, mais dans la cour, dehors, dans la rue, elle le défend encore.
Les niais qui rêvent de faire entrer leurs enfants dans l’administration parlent aux enfants un sabir qu’ils croient être du français, et pensent que personne ne prendra ces pauvrets pour des fils d’ouvriers, d’artisans, mais pour des petits messieurs très comme il faut.
Triples imbéciles, vos enfants ne sont que des mulâtres bouffis de la vanité d’être à moitié blancs et aigris d’être à moitié noirs. Aussi, quand ils y sont, dans l’administration, ils se gonflent, font la roue, sont insolents et cherchent à s’appuyer sur le plus fort, pour anéantir le plus faible.
Le Nord, depuis cent ans est le plus fort ; cette triste vérité peut se mesurer aux coups de fouet qui nous sillonnent les épaules, sous forme d’ordonnances, de décrets, d’arrêtés.
L’arrêté de monsieur Dupuy contre les courses de taureaux est un de ces coups de fouet. Seulement s’il nous a cinglés, il nous a mis une méchante humeur aussi, et le midi s’est levé comme un seul homme pour lui crier :
« Vous êtes trop bête, à la fin, avec votre pitié pour les bêtes ! »
Oh ! je sais bien que pour nous dorer la pilule, il parle de la loi Grammond ; mais que dit cette loi ? « Qu’il ne faut pas, sans utilité, brutaliser les animaux domestiques sur la voie publique. »
Et les arènes sont une voie publique ? Et le taureau de combat est un animal domestique ? Qu’il y aille donc, monsieur Dupuy, lui chatouiller le jabot, dans le cirque.
Et le cheval qui est encorné ne souffrirait-il pas davantage, dites-le, si on le conduisait se faire sucer lentement la vie par les sangsues ? Tout ça ne sont que de mauvaises raisons.
La vérité, c’est que Paris et le Nord ne veulent pas nous permettre de nous divertir à notre façon et de prendre notre plaisir là où ils ne prennent pas le leur. Lisez les journaux de Paris, vous en aurez la preuve.
Le journal Le Temple, est de l’avis du ministre. Il est vrai que si un autre ministre donnait de nouveau la permission, il l’approuverait de même, mais il ne faut pas le brutaliser, car ce journal passe pour un animal domestique.
Dans, le Figaro un nom espagnol cependant, il y avait M. Magnard, un parisien né en Belgique, qui cherchait la moyenne des idées moyennes qui se promènent de l’église de la Madeleine à la rue Montmartre. Il ne compte que pour les snobs et les cervelles à l’évent du boulevard.
Il y a aussi madame Séverine, une larmoyante communarde qui se met à plaindre le taureau de combat comme s’il était un entant de dynamitard. Mais je ne veux rien lui dire qui lui fasse de la peine, je ne peux pas voir pleurer une femme.
Au Journal des Débats, les professeurs, les huguenots, trouvent que les courses espagnoles ne sont pas assez académiques pour un pays qui devrait être tout assombri de l’ombre de l’école normale. Là, Tras los montes est le livre d’un bohème et Mireille la chanson d’un paysan.
Eh ! bien ! cela nous est égal ; nous avons avec nous contre ces journalistes parisiens et universitaires tous les français de la langue d’Oc, qui de Bordeaux à Lyon, de Bayonne à Nice, ont l’âme méridionale et n’en veulent pas changer. Nous ne voulons pas perdre notre parler, nos coutumes, nos pensées latines ; nous ne voulons pas, comme disait notre grand Mistral, faire servir les arènes romaines de Nîmes aux combats de coqs et au tir aux pigeons. Il ne nous manquerait plus, après cela, que de déménager le Ratier-Club de Roubaix dans les arènes d’Arles.
C’est pourquoi, de Villeneuve aussi, il faut crier : « Dehors les émondeurs, dehors les mesureurs, dehors les fabricants de décrets ! Laissez-nous librement nous divertir comme il nous plaît. Nous n’allons pas faire de tapage dans votre maison, ne venez pas en faire dans la nôtre ; et si vous voulez, pour me résumer, que je vous le dise en français : « F…ichez-nous la paix ! »
Sources : « Toros en Casteljaloux » Bibliographie générale de l’Agenais et des parties du Condomois et du Bazadais incorporées dans le département de Lot-et-Garonne de Jules Andrieu, tome premier, Paris, Alphonse Picard, 82 rue Bonaparte, Agen, J. Michel & Médan, 16 rue Pont-de-Garonne, 1886.
Datos
Pierre-Jean-Marie-Auguste-Fernand, CASSANY de MAZET avocat, historien et publiciste né à Villeneuve-sur-Lot le 2 décembre 1844 et mort en 1899.
Patrice Quiot