PATRICE
« Les principales fêtes de la ville de Madrid sont celles données en l’honneur du saint patron Isidore, autour du 15 mai.
Isidore était un laboureur de Madrid né en 1080 et canonisé en 1622 pour avoir, parmi beaucoup d’autres miracles dont certains posthumes, fait jaillir une source dont l’eau guérit tous les maux. À l’endroit où la source jaillit, au sud-ouest de la ville, fut construit l’ermitage de San Isidro, peint par Goya en 1787 et dont le tableau se trouve aujourd’hui au Prado.
Le jour du saint ne fut définitivement fixé au 15 mai qu’en 1669. Les actes religieux liés à la célébration du saint patron démarrent le dimanche qui précède le 15 mai. Tout commence par la bénédiction de la source miraculeuse attenante à l’ermitage où sont exposées les reliques du saint. Le matin du 15 mai a lieu une messe célébrée par le cardinal de Madrid, suivie d’une procession qui traverse le centre historique de la ville.
La dernière cérémonie religieuse qui clôt les fêtes de la San Isidro se tient le dimanche suivant dans l’ermitage de San Isidro, ponctuée par le chant Regina cœli adressé à la Vierge. Lors de ces fêtes qui durent une semaine sont organisés différents divertissements : des concerts publics en plein air, du théâtre de rue, un festival de théâtre (Distrito Quijote), un festival de musique (Titirimundi), des défilés de géants (gigantes y cabezudos), des expositions, une fête foraine et… une féria taurine.
La féria taurine est appelée la San Isidro, parfois orthographiée en un seul mot : sanisidro, et sans majuscule, comme s’il s’agissait d’un nom commun découplé du nom propre dont elle tire son appellation.
À la différence des fêtes de la San Isidro, la sanisidro dure plus de trois semaines du début du mois de mai au début du mois de juin. Avec un spectacle par jour, c’est la féria taurine la plus longue et la plus importante du monde. Si l’on y ajoute la courte féria de la Communauté de Madrid fin avril ou début mai et quelques corridas isolées se déroulant début juin, les aficionados peuvent assister à Madrid à plus d’un mois de corridas quasiment consécutives.
La féria taurine madrilène fut créée en 1947 par Livinio Stuyck, alors imprésario des arènes. Elle a d’abord été appelée « feria de Madrid » et réunissait sur cinq jours, à partir du 15 mai, les corridas normalement programmées sur tout le mois. Depuis le début du XXe siècle, une corrida avait lieu le jour de la San Isidro. Dans les années 1960, le nombre de courses données pour la San Isidro oscille entre 10 et 15. Le nombre de courses dépasse la vingtaine au début des années 1970. La sanisidro réunit généralement tous les plus grands toreros du moment, sauf lorsque les exigences de certains d’entre eux en termes économiques ou en termes de choix des élevages s’avèrent incompatibles avec la volonté ou le budget de la direction des arènes. Pour la sanisidro, tous les éleveurs conservent leurs meilleurs lots de taureaux ou plutôt les plus respectables en termes de poids, de musculature et de cornes, bien que sur ce terrain les ferias de Bilbao et de Pampelune la surpassent. Il est d’usage assez courant de comparer la sanisidro à la grande bourse des valeurs taurines, qui chaque année fait varier la cote des professionnels, leurs prétentions salariales et leur nombre de contrats pour la saison en cours. Pour les arènes, le 15 mai est une date presque comme les autres, même si nous avons pu remarquer que ce jour promet généralement une affiche de qualité.
Si la tauromachie est une fête, et que la sanisidro représente la féria la plus importante au monde, il est surprenant de constater qu’il s’agit aussi d’une des férias les moins festives à l’intérieur des arènes, comme à l’extérieur.
Dans les arènes, aucune ambiance de fête pour des spectateurs réputés sérieux et intransigeants, qui préfèrent volontiers jouer le rôle d’un tribunal de l’orthodoxie taurine, plutôt que de se laisser aller à la moindre complaisance. Cette tradition de rigueur et de sévérité est ancienne. Lorsqu’en 1973, le matador Palomo Linares coupe la deuxième queue de l’histoire des arènes de Las Ventas, le lendemain, sous l’effet du scandale provoqué par une récompense fortement contestée, une partie du public portait un brassard en signe de deuil.
Certains secteurs de l’arène poussent cette exigence à l’intransigeance, voire à l’intégrisme comme hier la andanada 8 et comme aujourd’hui le très redouté tendido 7. Cette partie de l’arène correspond aux premières places du soleil qui passent à l’ombre quand le soleil décline.
Elles surplombent le terrain où a lieu la pique. Les spectateurs du tendido 7 ne font aucune concession à la présentation et à la qualité des taureaux, pas plus qu’ils n’acceptent le moindre manquement au règlement taurin. Cette intransigeance affichée est considérée, tantôt comme une juste rigueur, tantôt comme une attitude irrespectueuse et contestable, voire comme la manifestation d’une ignorance crasse ou délibérément provocatrice. Quoi qu’il en soit le tendido 7 aime jouer un rôle important et ses occupants ne se voient pas comme de simples spectateurs. »
A suivre…
Patrice Quiot