« La réputation de Madrid n’est pas seulement fondée sur les caractéristiques de son public. Un détail lourd de sens : aucune musique n’est jouée pendant que le matador torée, contrairement à toutes les autres arènes du monde où lorsque l’homme parvient à lier les passes de façon satisfaisante, l’orchestre se met à enchaîner les pasodobles. L’orchestre ne joue qu’au début de la corrida lors du paseo, lors des intermèdes entre chaque taureau et à la fin du spectacle. Ce détail est à l’image d’un intérieur très sobre : des gradins en béton, des piliers en acier basque, le drapeau de l’Espagne et de la Communauté autonome qui flotte au-dessus des arènes, une girouette en forme de taureau qui surmonte l’horloge, un balcon royal généralement vide. C’est sans doute dans les parties hautes de l’arène, tout au moins dans les andanadas et les gradas du soleil que les spectateurs sont le plus à la fête. Les lieux résonnent et la hauteur vous met à distance du spectacle lorsqu’il est ennuyeux. C’est aussi là que l’on trouve le public le plus bigarré où se côtoient des abonnés de longue date, un public populaire, des étudiants étrangers et des touristes qui découvrent à leur manière cet étrange spectacle.
 
Immédiatement à l’extérieur des arènes, seuls quelques stands proposent des boissons, des graines en tous genres, des chapeaux pour se protéger d’un mois de mai souvent caniculaire, des éventails, des souvenirs et autres verroteries taurines qui vont de l’autocollant à l’effigie du taureau de combat, à la paire de banderilles en plastique, en passant par les affiches de corridas où votre nom peut être inscrit au pochoir. Au-delà, s’ouvrent les bouches de métro de la station Las Ventas où s’engouffre une grande partie des spectateurs qui ne commenteront la corrida avec leur voisin que le temps d’un trajet. D’autres attendront que les transports en commun se désengorgent dans les bars de la calle de Alcalá et de ses rues perpendiculaires. Là, certains aficionados évoquent avec passion le spectacle : les mains tendues pointent vers le bas pour reproduire les gestes des toreros, les index se dressent, parallèles, pour reproduire les cornes, les verres et les tapas se déplacent sur les tables pour rejouer la position exacte des protagonistes, certains toréent les voitures qui roulent au pas à l’approche des trottoirs bondés. Pour une petite minorité, la nuit se poursuit tard dans les quelques adresses taurines que les arènes ont fixées. Pour autant, l’ambiance festive qui serait imputable aux courses de taureaux s’essouffle dans l’ensemble assez vite. C’est pourquoi en 2003, les propriétaires des bars El Albero, La Tienta, et El Rincón de Jerez qui ne possèdent pas de terrasses sont furieux des mesures prises pour vérifier que l’on ne puisse consommer d’alcool sur la voie publique. Les voitures de la police passent et exigent qu’aucune boisson ne soit consommée dehors, au moment même où les bars débordent sur la rue, avant que le reflux ne s’amorce lorsque le métro parvient à drainer sans encombre les passagers. Il faut dire que les arènes de Las Ventas ne sont pas situées dans les quartiers du centre-ville où se concentrent les animations. Le début de la construction des arènes date de 1929. Encore en construction, elles sont inaugurées une première fois en 1931, puis une seconde fois en 1934. Leur édification visait à remplacer les arènes de la Puerta de Alcalá, plus centrales, mais insuffisamment grandes pour répondre à la demande. Le projet de les agrandir en rognant sur la taille de la piste et en surélevant la structure d’un étage avait bien été envisagé, mais c’est finalement celui d’une nouvelle arène qui l’emporta. Les arènes sont alors construites tout au bout de la calle Alcalá qui prend son origine à la Puerta del Sol où se situe le kilomètre zéro de la ville et du pays. L’urbanisation galopante de Madrid a rapidement inséré les arènes dans le tissu urbain, mais elles demeurent à l’est de la ville, très excentrées par rapport au cœur historique et situées en bordure de la M 30, une autoroute urbaine qui contourne la partie centrale de l’agglomération.
 
Mais la distance au centre de la ville et la localisation des arènes n’expliquent pas tout pour comprendre l’absence de fête autour d’elles. Il faut aussi remarquer la faiblesse des liens et des références culturelles communes entre les spectacles taurins et les autres supports des fêtes de la San Isidro. Rien dans les festivités programmées pour la San Isidro ne tisse de relation entre l’univers de la tauromachie et les autres formes d’activités ou de divertissements. La plupart des aficionados qui ne sont pas de Madrid, n’ont d’ailleurs généralement aucune connaissance des autres aspects de la fête urbaine, certains ignorent même que la San Isidro puisse être autre chose qu’une féria taurine. La fiesta taurina relève ici d’une industrie culturelle dont la coïncidence avec la célébration du saint patron apparaît comme un prétexte lointain. En tous les cas, il n’existe nul signe extérieur marquant une quelconque continuité entre les courses de taureaux et les autres manifestations liées aux autres aspects de la fête urbaine, qu’il s’agisse des divertissements ou des actes religieux. Ce qui relie la fête et la tauromachie semble bien être, dans ce cas, une logique d’agglomération circonstancielle d’activités juxtaposées au sein d’une grande ville, où il est difficile de mesurer si le succès des unes profite au succès des autres. »
 
Sources : « Jeux taurins d’Europe et d’Amérique »/Casa de Velázquez
 
Datos 
 
Lorsque Livinio Stuyck prend la direction des arènes de Madrid en 1947, il décide de regrouper toutes les corridas du mois de mai, coïncidant avec la fête de San Isidro, en un seul abonnement continu. 
 
Cette première feria s’appelait Feria de Madrid. 
 
Parmi les nouveautés présentées figurait la restauration des abonnements suspendus en 1939. Au début, la feria était composée de cinq corridas, passées à dix en 1959 et quinze en 1956 jusqu’à atteindre vingt-huit festivités, qui se déroulent quotidiennement pendant la mois de mai et la première semaine de juin : vingt-quatre corridas, deux novilladas et deux corridas de rejoneo.
 
La première édition de la Feria de San Isidro a eu lieu le 15 mai 1947, avec un cartel de no hay billetes tous les jours.
 
Le coût des billets était de 125 pesetas la barrera et de 10 pesetas pour le billet le moins cher en tendido de sol.
 
 Le cartel inaugural était composé de : Rafael Ortega, Gallito, Manuel Álvarez, Andaluz et Antonio Bienvenida ; les toros de Rogelio Miguel del Corral.
 
« Los espadas no obtuvieron orejas y Bienvenida fue cogido.
 
Pepín Martín Vázquez fue el triunfador de la primera Feria de San Isidro con dos vueltas al ruedo. El 9 de mayo de 1948, Manuel Álvarez Andaluz cortó la primera oreja en la historia de la feria. »
 
Patrice Quiot…