Il y a seulement une semaine, je publiais ici un superbe hommage de Patrice adressé à José Fuentes. Il n’y avait certes rien de prémonitoire, mais aujourd’hui, la coïncidence fait que seulement quelques jours après, la maestro vient de rendre le dernier soupir. Vous trouverez ci-dessous l’intégralité de cet hommage. QDEP, Maestro… 
 
Nostalgie : José Fuentes Sánchez…
 
«‘Ca’ uno es ‘ca’ uno» (Rafael Guerra Bejarano, «Guerrita»).
 
 
Un visage de poète romantique.
 
Des yeux de tendresse.
 
 
 
Un nez de distinction.
 
Une bouche de gourmandise.
 
 
 
Et une coupe de cheveux.
 
A la George Harrison.
 
 
 
Un homme.
 
De Linares.
 
 
 
A l’allure d’un Musset.
 
Qui, comme Palomo, au plomb de la mine de ses paisanos.
 
 
 
A préféré.
 
Le sable de l’arène.
 
 
 
Je ne l’ai pas souvent vu toréer.
 
Au plus quatre ou cinq fois.
 
 
 
Une seule aurait suffi.
 
L’art n’a nul besoin d’être ressassé.
 
 
 
« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
 
L’Incipit de «L’étranger ».
 
 
 
On a compris ce à quoi.
 
Et celui à qui on a à faire.
 
 
 
Extraction modeste.
 
Epure aristocratique.
 
 
 
Phrases en verre coupant.
 
Passes en cristal poli.
 
 
 
Les deux qui interrogent.
 
Un brin de menthe sur une décharge de Soweto.
 
 
 
Ecriture.
 
Et toreo.
 
 
 
Un dimanche de San Isidro d’une année bien lointaine.
 
Lleno hasta la bandera.
 
 
 
En barrera, le Prince Juan Carlos en costume.
 
Et dans le callejón, «El Pipo», en chapeau blanc.
 
 
 
Dans le ruedo : Ordóñez, Santiago López.
 
Et l’ancien apprenti cordonnier que fut José Fuentes.
 
 
 
Le capote sans un pli.
 
Comme l’abandon d’une duchesse en mantille dans les bras d’un journalier.
 
 
 
Comme un toque de guitarra.
 
De l’«Allegro moderato con gracia » d’Andrés Segovia.
 
 
 
Aucun abus, pas d’outrance.
 
Quatre lances en notes de justesse de ton et autant d’harmonie.
 
 
 
La muleta qui œuvre comme une forme à monter.
 
Tendue de fils de chanvre et de lin.
 
 
 
Cousue main droite, brodée main gauche.
 
Sans glue.
 
 
 
Un remate de cuir.
 
Et un sourire coquin.
 
 
 
L’estocade en un marteau à clouer.
 
Droite et meurtrière.
 
 
 
Aucune retouche.
 
Une faena brindée au Prince.
 
 
 
Mais qui aurait pu l’être à John Lobb.
 
Chausseur à Regent’s Street depuis 1866.
 
 
 
Sombra :
 
 
 
Echoppe d’ombre.
 
De la haine ordinaire d’un Navalón qui lui reprochait son pico de combat.
 
 
 
Echoppe d’ombre.
 
Du toro de Louro Fernandez de Castro à Huesca qui lui troua le visage.
 
 
 
Echoppe d’ombre.
 
D’un autre à Barcelone qui pendant quatre ans l’empêcha de marcher.
 
 
 
Echoppe d’ombre d’un argent.
 
Qu’amoureusement il dispersa dans les parfums du catalogue de Leporello.
 
 
 
Y sol :
 
 
 
Cortijo de lumière.
 
Pour un novillero culte.
 
 
 
Cortijo de lumière.
 
Pour la queue du toro de Garcigrande de Barcelone qu’il toréa le chapeau du « Pipo » dans la main droite.
 
 
 
Cortijo de lumière.
 
Pour le million de pesetas qu’il prêta à Victorino pour acquérir les vaches d’Escudero.
 
 
 
Cortijo de lumière.
 
Pour les onze oreilles de Madrid et la Grande Porte du 12 octobre 1981.
 
 
 
Un Jean-Baptiste Lully du tentadero.
 
Un Véronèse du capote, un Noureev de la muleta.
 
 
 
Un torero de soleil et d’ombre.
 
De pluie et de vent.
 
 
 
Un Henry de Monfreid.
 
En encaje de bolillos.
 
 
 
José Fuentes.
 
Matador de toros por la gracia de Dios.
 
 
 
Un torero de cartel qui m’a marqué au fer du toreo.
 
Avec la nostalgie de ne pas l’avoir suffisamment dit.
 
 Datos 
 
José Fuentes Sánchez.
 
6 février 1944 : Linares (Jaén).
 
Début en public : Linares, 17 juin 1962.
 
Début avec chevaux : Linares, 19 avril 1963.
 
Alternative : Málaga, 18 avril 1965, Antonio Ordóñez comme parrain et Carlos Corbacho comme témoin, toros de Carlos Núñez.
 
Confirmation : 30 mai 1965, Antonio Ordóñez comme parrain et Carlos Corbacho comme témoin, toros de Pablo Romero.
 
Patrice Quiot