No creo que ningún magnate del mundo, por muy poderoso que sea, pueda tener nunca a su lado un servidor de las condiciones excepcionales y valiosas de un mozo de espadas. Hablo, claro está, de los verdaderos mozos de espadas, porque ya sé que en planeta de los toros abundan los pícaros que a todos los menesteres taurinos llevan su picardía. Un auténtico mozo de espadas es el hombre de confianza del matador y algo más: sus pies y sus manos. Un torero puede prescindir de mucha gente que le rodea en la plaza y fuera de la plaza, pero jamás de un mozo de espadas« .
 
(Antonio Díaz-Cañabate).
 
« On parle peu du valet d’épée. Et pourtant, sans lui, la fête ne serait pas la même. Des années passées dans l’arène, ce qui me manque le plus, c’est sa présence amicale et dévouée ; sa figure exemplaire de serviteur fidèle. Servir est un art. Et quand nous avons été bien servis, nous ne pouvons jamais oublier la dette envers celui qui nous a servi.
 
Je comprends ce sénateur américain qui avait demandé à être enterré à côté de sa vieille domestique noire.
 
Je veux entendre à nouveau sa voix – expliqua-t-il – le jour de la résurrection Je veux l’entendre, encore, m’appeler… « Niño… ! son horas de despertar. »
 
Un jour – ça faisait dix-huit ans que j’avais quitté les ruedos – on m’a demandé une interview pour le magazine Vogue. La comtesse de Romanones m’a appelé de Madrid, m’expliquant qu’il s’agissait d’un article important, comme d’autres déjà rédigés sur les personnes “glamour”. 
 
Le photographe viendrait de France… l’écrivain des Etats-Unis… 
 
J’ai fait de mon mieux pour sortir du compromiso. J’ai donné mes raisons :
 
…  No era nada “glamorosa”, ni tenía gobelinos en casa, ni caballos, ni el último grito en vestidos. En casa había muchos niños, muchos libros, mucho papel, muchos perros y una máquina de escribir. Pues bastó aquello, para que no me pudiera escapar del caso. Dije que estaría en Londres. Pues irían a Londres. 
 
Total: desistí y accedí: vendrían a Lisboa.
 
Écoute, me recommanda Aline Romanones, coiffe-toi et n’oublie pas les faux cils. Les robes partiront de Paris.
 
Il y a des années, je ne me serais pas inquiétée pour un ou cent journalistes et photographes. Mais maintenant, ce n’était plus pareil. Qu’allais-je faire d’eux ? 
 
Suivant les conseils d’Aline, je suis allée chez le coiffeur et j’ai commandé les cils pour tester les résultats. Tout allait bien. Ils ont appliqué des crèmes et des onguents, des massages et enfin… les cils. Mais à mon grand malheur, ils me gênaient énormément. En les voyant, longs et brillants, sauter devant mes yeux, je ne pouvais même pas parler. Et je devais – surtout – parler. Finalement, à la grande déception de la masseuse, je les ai enlevés et mis dans ma poche.
 
Je suis arrivée à la maison. Que faire ? 
 
Et sans réfléchir davantage au problème, j’ai pris le téléphone et j’ai appelé Tavares.
 
Tavares avait été mon valet d’épée et comme moi, il était retiré de la tauromachie. 
 
Il était fonctionnaire de l’Etat.
 
Tavares – lui dis-je, je dois redevenir « vedette » pendant trois jours… cela vous dérangerait de redevenir mon mozo pendant ces jours-là ?
 
Me encantaría ! – répondit mon ami -, rien ne me fera plus plaisir que de vous servir à nouveau.
 
Je demanderai trois jours de vacances. Quand avez besoin de moi ?
 
Lundi.
 
Je serai là.
 
Et curieusement, moi qui étais comme une écolière confuse par une interview, en entendant la voix de mon mozo, je me sentis capable d’affronter le monde. 
 
Es la sensación con que se va a la plaza. Porque a la plaza no se va con la duda de poder con el toro. Se va con la certeza de poder hasta con lo imprevisto. Y esta certeza se obtiene – en gran parte – gracias al ambiente fenomenal creado por los que acompañan y sirven a quien está en la arena.
 
Lorsque nous eûmes terminé les trois jours d’interview, Tavares avait fait repasser les chemises brodées, fait ce qui était nécessaire, avait tout fait.
 
Puis il était retourné à son bureau et moi à ma vie de famille.
 
Deux jours plus tard, le valet d’épée m’a appelé.
 
Quisiera rogarle un favor… – dudó un poco y luego prosiguió – : …un favor muy grande… yo quisiera tener un traje de luces – y se apresuró a añadir – … uno muy viejo, uno que nadie quisiera. Que no sirviera para nada… aunque fuera de un color la chaquetilla y de otro la taleguilla… lo pondría en una silla en mi sala. Y cuando regresara de mi trabajo, al fin del día, doblaría la taleguilla… y acomodaría la chaquetilla… y colocaría las zapatillas frente a la silla… Sabe… aquello sería un espejo de lo que fueron cuarenta años de mi vida
 
La semaine suivante, je rencontrai Antonio Bienvenida à Madrid et lui lus une lettre dans laquelle Tavares réitérait son souhait. 
 
Soudain, je remarquai qu’Antonio détournait le regard.
 
Oye… le dije: ¿… no te interesa ?
 
¡ Calla, mujer ! me contestó el torero ¿ No ves que se me caen las lágrimas ?
 
¿ Y me das un traje ? insistí.
 
Todo… completo… ¡ hasta con tirantes ! me contestó el matador.
 
Je suis rentrée à Lisbonne avec le colis pour Tavares. 
 
Et je me suis senti heureuse. 
 
 Por fin podía servir a mi mozo de espadas. »
 
Conchita Cintrón.
 
Lisbonne, 1973.
 
Datos  
 
Consuelo Cintrón Verril dite « Conchita Cintrón », (9 août 1922 à Antofagasta (Chili)/ 17 février 2009 à Lisbonne (Portugal).
 
Conchita Cintrón est restée dans l’histoire de la tauromachie comme la première rejoneadora célèbre.
 
Elle débute à l’âge de quatorze ans dans un festival de bienfaisance en janvier 1936 aux arènes d’Acho.
 
L’année suivante, elle présente un numéro équestre analogue à celui d’Antonio Cañero, avec une partie équestre et une partie à pied.
 
Elle prend l’alternative à Mexico le 20 août 1939.
 
Elle torée dans la plupart des pays taurins d’Amérique latine ; elle conquiert le Mexique où elle participe à 211 corridas de 1939 à 1943, tuant à pied 401 toros.
 
Après la Seconde Guerre mondiale, elle arrive en Europe, à Lisbonne, où elle connaît un succès immédiat. Son charme et son talent lui ont valu d’être surnommée « la déesse blonde ». Cavalière remarquable, elle maniait la muleta avec une grande précision de geste.
 
Mais on n’a jamais pu la voir sous cet aspect-là en Espagne où la loi interdisait aux femmes de toréer à pied.
 
C’est en France qu’elle a toréé le plus grand nombre de fois. Elle y était appréciée à la fois comme rejoneadora, comme torera, mais aussi pour l’élevage de toros qu’elle fonda après s’être retirée des arènes.
 
Ses adieux eurent lieu dans les arènes de Bordeaux le 1er octobre 1950 face à des taureaux de José Infante da Cámara.
 
Elle revint exceptionnellement dans le ruedo le 21 septembre 1991 dans les arènes de Nîmes pour donner l’alternative à Marie Sara.
 
Patrice Quiot