« Péinate tú con mis peines,
 
que mis peines son de azúcar, 
 
quien con mis peines se peina, hasta los dedos se chupa.
 
 
 
Péinate tú con mis peines, 
 
mis peines son de canela, 
 
la gachí que se peina con mis peines, canela lleva de veras. »
 
(Tango de Pastora Pavón « La Niña de Los Peines »)
 
 
 Comme se doit le vrai toreo : Faenón de Pastora.
 
« … C’était un jour où la chanteuse Pastora Pavón, la Niña de los Peines, sombre génie hispanique égale en puissance d’imagination à Goya ou à Rafael El Gallo, un jour qu’elle chantait dans une petite taverne de Cadix.
 
Elle jouait avec sa voix sombre, sa voix d’étain en fusion, sa voix couverte de mousse, elle l’enroulait de ses cheveux, la trempait dans la Manzanilla ou la perdait dans d’obscurs et lointains fouillis inextricables.
 
Mais c’était inutile, rien, les auditeurs restaient muets. 
 
Il y avait là Ignacio Espleta beau comme une tortue romaine, à qui l’on demanda un jour « Comment est-il possible que tu ne travailles pas ? » et lui, avec un sourire digne d’Argantonio, de répondre : « Comment pourrais-je travailler, moi, qui suis de Cadix ?« 
 
Il y avait là Elvira, l’ardente aristocratique prostituée de Séville, descendante directe de Soledad Vargas, qui en 1930 refusa de se marier avec un Rothschild parce qu’il n’égalait pas son sang. Il y avait là les Florida, que les gens croient bouchers, mais qui sont en réalité les grands prêtres millénaires qui continuent de sacrifier des taureaux de Géryon, et, dans un recoin l’imposant éleveur don Pablo Murube, avec son apparence de masque crétois. 
 
Pastora Pavón finit de chanter au milieu du silence. Seul, sarcastique, un tout petit homme, de ces petits hommes dansants qui jaillissent soudain des bouteilles d’eau de vie, dit d’une voix très basse : « Viva Paris ! « . Comme s’il disait : « Ici on n’a que faire de l’habileté, de la technique, de la maestria, ce qui nous importe c’est autre chose.« 
 
Alors, la Niña de los Peines se leva comme une folle, brisée comme une pleureuse médiévale, elle but d’un trait un grand verre d’eau de vie, de feu anisé de Cazalla, puis s’étant rassise se remit à chanter, sans voix, sans souffle, sans modèles, la gorge embrasée, mais… avec duende. Elle était parvenue à tuer l’échafaudage de la chanson, pour laisser passer un duende furieux et dominateur, ami des vents chargés de sable, qui poussa le public à déchirer ses vêtements, au même rythme presque que celui des nègres antillais du rite Lucumi massés devant une image de Sainte Barbe.
 
La Niña de los Peines se dut de déchirer sa voix car elle savait que l’écoutaient des gens raffinés qui ne demandaient pas des apparences, mais la moelle des apparences, une musique pure à l’enveloppe si ténue qu’elle peut demeurer suspendue dans l’air. Elle dut se dépouiller de son habileté et de ce qui assurait sa sécurité ; autrement dit, elle dut chasser sa muse et s’exposer, fragilisée, afin que son duende se présente et daigne lutter sans retenue. Quel chant !
 
Sa voix ne jouait plus, sa voix coulait comme un flot de sang anobli par la douleur et par la sincérité qui la poussa à s’ouvrir comme une main de dix doigts projetée par les pieds cloués, torturés, d’un Christ de Juan de Juni… ».
 
(Extrait de : « Jeu et théorie du duende », conférence de Federico García Lorca donnée dans les années 1933-1934 à la Havane, à Buenos Aires et à Montevideo.)
 
Datos 
 
Pastora Pavón «La Niña de Los Peines».
 
Pastora Maria Pavón Cruz, naît le 10 février 1890, dans le quartier sévillan de Puerta Osario.
 
D’autres sources la font naître à Triana, à la Alameda, à San Román ou au 10 de la calle del Valle dans le quartier del Burrón…
 
Peu importe ; Pastora Maria Pavón Cruz est gitana ; gitana del Guadalquivir.
 
So père, Francisco Pavón Cruz « El Paiti », marié à Pastora Cruz Vargas, est un forgeron gitan d’El Viso del Alcór où «La Niña de Los Peines» grandit avec ses frères, cantaores flamencos.
 
Sa famille étant dans le besoin, Pastora débute comme professionnelle à la « Taberna de Ceferino » à Séville.
 
Elle a huit ans.
 
En 1901, à onze ans, elle se produit dans les cafés cantantes de Madrid: Le «Café de la Marina » et le «Café del Brillante» où elle rencontre le peintre Ignacio Zuloaga qui la convainc de se produire aussi à Bilbao au «Café de las Columnas».
 
Mais à Bilbao, elle n’est pas autorisée à chanter en public en raison de son jeune âge ; aussi elle pose comme modèle pour les peintres, dont Zuloaga. C’est dans ces cafés cantantes qu’elle reçut le surnom de «La Niña de Los Peines», surnom qu’elle n’a jamais aimé.
 
De retour en Andalousie, elle participe aux spectacles de plusieurs chanteurs des cafés cantantes à Jerez, Séville, Málaga.
 
En 1910, elle fait ses premiers enregistrements, et en 1920 c’est le  »Teatro Romea » qui l’engage au salaire le plus élevé pour une artiste selon les normes de l’époque dans ce genre d’établissement.
 
Elle a vingt ans.
 
Elle commence une longue série de tournées dans toute l’Espagne, partageant la scène avec les artistes de flamenco les plus fameux de l’époque parmi lesquels les cantaores Manolo Caracol, Pepe Marchena, Manuel Torre et Antonio Chacón, la bailaora Juana la Macarrona, ou les guitaristes Ramón Montoya et Melchor de Marchena.
 
En 1922, à Grenade, elle participe au concours de Cante Jondo célébré en juin à la Plaza de los Aljibes.
 
Festival de musique présidé par Antonio Chacón et en grande partie organisé par Manuel de Falla et Federico García Lorca dans le but de redynamiser l’art du flamenco, et de retrouver sa pureté originelle, ses racines populaires. Elle y fut particulièrement remarquée et alors vraiment reconnue.
 
 Pastora Pavón devient l’amie du compositeur Manuel de Falla, du peintre Julio Romero de Torres, et bien sûr de Federico García Lorca qu’elle avait rencontré chez Encarnación López Júlvez, «La Argentinita ».
 
Dans ses écrits, il évoque «La Niña de Los Peines» : 
 
« Jugaba con su voz de sombra, con su voz de estaño fundido, con su voz cubierta de musgo ».
 
Maestra de gemidos, criatura martirizada por la luna o bacante furiosa. Verde máscara gitana a quien el duende pone mejillas temblonas de muchachas recién besadas. La voz de esta mujer es excepcional, rompe los moldes de toda escuela de canto como rompe los moldes de toda música construida ».
 
En 1931, elle épouse le chanteur José Torres Garzón, «Pepe Pinto». 
 
Après une parenthèse durant la guerre civile espagnole, elle revient à la scène dans le cadre de plusieurs spectacles de flamenco parmi lesquels «Las calles de Cádiz » de Concha Piquer, troupe dans laquelle figurent «La Macarrona», «La Malena», «La Ignacia», María Albaicín, Mari Paz, Pepe «El Limpio», «Pericón de Cádiz» y Melchor de Marchena.
 
Après s’être retirée quelques années, elle revient à nouveau sur scène avec son mari  dans un spectacle intitulé «España y Cantaora» ; elle part en tournée au Québec pour quelques mois avant de se retirer définitivement.
 
En 1961, «La Niña de Los Peines» reçoit un hommage officiel à Cordoue.
 
En 1968, un monument en son honneur est érigé dans le quartier de La Alameda de Hércules à Séville.
 
Au cours des trois dernières années de sa vie, atteinte d’artériosclérose puis de démence sénile, elle n’apparaît plus en public.
 
La « Nina de los Peines » décède le 26 novembre 1969 en la calle Calatrava de Séville, un mois et demi après son mari.
 
Elle avait soixante-dix-neuf ans et n’avait jamais appris à lire, ni à écrire.
 
Elle est enterrée au cimetière de San Fernando de Séville.
 
En 1996, lors de la IXème Biennale de Flamenco de Séville, le gouvernement autonome andalou a déclaré la voix de « Niña de los Peines » comme bien d’intérêt culturel.
 
Entre 1910 et 1950, elle a gravé 258 cantes sur disques 78 tours qui ont été réédités en 2004 sous la forme de 13 CD.
 
Patrice Quiot