PATRICE
La « Taberna Antonio Sánchez » (Mesón de Paredes, 13) fut fondée à Madrid en 1830 par le torero José Sánchez «Cara Ancha» (José Sánchez del Campo « Cara Ancha »/ Algésiras 8 mai 1848/ Aznalcázar 31 mai 1925).
Elle passa en 1870 entre les mains du picador Matías Uceta «Colita» et quelques années plus tard, en 1884, fut acquise par Antonio Sánchez Ruiz de Valdepeñero.
Son fils Antonio Sánchez Ugarte, né dans ladite taverne en 1897 et mort dans la même ville en 1964, en hérita.
Torero et peintre, disciple et ami d’Ignacio Zuloaga (Eibar, 20 juin 1870/ Madrid 31 octobre 1945) qui lui apprit à perfectionner son travail pictural, A. Sánchez se retira de l’arène en 1929, après 22 coups de corne et se consacra à la gestion de la taverne, à la peinture et au dessin, obtenant d’importantes récompenses en divers concours, en particulier à l’exposition d’arts plastiques de Valdepeñas , où ses œuvres ont été récompensées par des premier et deuxième prix, dans les années 1944-45-46 et 49, avec ses œuvres peintes à l’huile: “Picador” et “Autoportrait”, entre autres.
Cette cathédrale du vin de Valdepeñas, populairement connue sous le nom de « La taberna de los tre siglos », a conservé sa décoration intacte depuis sa fondation :
Carrelage d’origine des plinthes, comptoir de bois et évier en zinc, tables de marbre blanc, becs de gaz qui l’éclairaient quand il n’y avait pas d’électricité à Madrid.
De même, l’élévateur à bouteilles est une relique.
Particulièrement curieux est le vieux panneau annonçant le prix du pain perdu, « Torrijas » à 15 cents des anciennes pesetas. Il convient également de mentionner la caisse enregistreuse vieille de plus de 130 ans, qui fonctionnait avec des pesetas et des cents.
L’horloge tourne depuis environ 120 ans et entre autres antiquités, une pancarte annonce : « Pas de crachats par terre ».
Les murs en stuc sont ornés de médaillons peints représentant les visages d’anciens toreros : “Frascuelo” (Salvador Sánchez Povedano « Frascuelo » (Churriana de la Vega, 23 décembre 1842 / Madrid, 8 mars 1898), “Lagartijo” (Rafael Molina Sánchez «Lagartijo» /Cordoue , 27 novembre 1841/ Cordoue 1ᵉʳ août 1900) et “Cara Ancha”.
Y sont exposées les têtes empaillées du toro d’alternative de Vicente Pastor (Vicente Pastor y Durán «Vicente Pastor»/Madrid, 30 janvier 1879, /Madrid 30 septembre 1966), ainsi que celle du toro “Stoker” combattu et tué Antonio Sánchez Ugarte dans les arènes de Linares, le 29 août 1922.
Au bar ou sur les tables et tabourets en acajou se sont assis les meilleurs écrivains de la Génération 1898*(cf datos)…
Au siècle dernier s’y retrouvaient des personnalités telles que : Pío Baroja, Joaquín Sorolla, Ignacio Zuloaga, Gregorio Marañón, José María de Cossío (José María de Cossío y Martínez Fortún /Valladolid, 25 mars 1892 /Valladolid, 24 octobre 1977).
Antonio Díaz-Cañabate (Antonio Díaz-Cañabate y Gómez-Trevijano / Madrid, 21 août 1897 /Madrid, 16 août 1980) a immortalisé le lieu dans son livre “Historia de una Taberna” publié par la maison d’édition Espasa-Calpe en 1947.
Des années plus tard, dans ce même cénacle bachique s’y retrouvaient également pour parler de littérature et d’art, mais aussi pour conspirer contre le gouvernement franquiste, les poètes, écrivains et peintres appartenant au courant d’avant-garde d’après-guerre du Postismo : Gabino Alejandro Carriedo, Carlos Edmundo de Ory, Francisco Nieva, Carlos de la Rica, Santiago Amón et Pérez de Madrid (Prix national de traduction), essayiste, critique d’art et traducteur de Dante, Pétrarque et Pessoa.
En 2007, la mairie de Madrid a accordé à La «Taberna Antonio Sánchez» le titre d’ »Établissement centenaire ».
L’endroit a servi de décor à une séquence du film de Pedro Almodóvar «La Flor de mi secreto ».
Datos
*La guerre hispano américaine de 1898 est l’ultime coup porté à l’Empire espagnol. Devenu la première puissance industrielle mondiale et porté par un énorme essor économique et démographique, les États-Unis n’ont aucun mal à vaincre leur ennemi. Leur marine, notamment, anéantit sans difficulté deux flottes espagnoles à Santiago de Cuba et dans la baie de Manille (Philippines). À l’issue du conflit, l’Espagne doit céder Cuba, Porto Rico, Guam et les Philippines au vainqueur.
Cette victoire retentissante sur une puissance coloniale européenne consacre l’émergence des États-Unis comme une puissance mondiale de premier ordre. Pour l’opinion publique espagnole, le choc est terrible.
C’est dans ce contexte qu’émerge une nouvelle génération d’intellectuels déterminée à comprendre les racines de ce désastre national, et d’y apporter des solutions.
Parmi ceux-ci : Pío Baroja, Joaquín Costa, Antonio Machado, José Martínez Ruiz (Azorín) et surtout Miguel de Unamuno.
Mouvement hétérogène, dont les limites sont difficiles à tracer, il rassemble néanmoins ces auteurs sous certains traits communs.
Tous sont pénétrés par le sentiment de déclin de l’Espagne. Au-delà de ce constat, ces auteurs sont marqués par une profonde inquiétude quant à l’avenir de leur pays. Cette inquiétude passe par le rejet de la société de la Restauration espagnole, dénoncée comme médiocre, frivole et impuissante.
Ces auteurs préfèrent « l’Espagne réelle », austère et misérable, dont la vieille Castille fournit un exemple typique à leurs yeux.
Loin d’être un mouvement fermé, ces auteurs sont enfin influencés par certains penseurs étrangers. Ainsi, Azorín et Unamuno sont marqués par la pensée de Nietzsche, qui exerce une certaine fascination sur leurs esprits. Autre exemple, Antonio Machado, parfait francophone, est influencé par les travaux de Bergson.
Et à la même époque en France :
Deux corridas eurent lieu à Rochefort-sur-mer en 1897 avec la participation du torero Pepete. Mais elles furent sans lendemain. Des corridas furent organisées ensuite par Félix Robert, matador français et empresa, à Limoges, au mois de juillet 1899, et elles s’arrêtèrent là. En revanche, les arènes de Roubaix et les arènes du Havre connaîtront une existence moins éphémère. Dans les premières, une dizaine de corridas intégrales furent montées avec les matadors renommés Luis Mazzantini, Antonio Reverte, Guerrita et d’autres toreros moins célèbres, sans que l’on connaisse les dates exactes de chacune d’elles. On sait néanmoins que les arènes de Roubaix furent actives de 1899 à 1901, et Mazzantini qui s’en était improvisé empresa avait organisé un combat d’un « toro étique contre un lion édenté », ce que lui reprochèrent les aficionados méridionaux, car cette entreprise ridicule faisait le jeu des adversaires de la corrida. Il est possible que Mazzantini se soit également présenté dans les arènes du Havre. De grandes contradictions entourent sa carrière et la date de ses exploits. Le Petit Journal annonce le 15 septembre 1895 qu’il est reconduit à la frontière en habit de lumières, avec sa cuadrilla, avec interdiction de courses dans le Midi. Mais en 1899, il torée de manière certaine dans les arènes de Roubaix, selon le cartel du 18 juin 1899.
Et à Nîmes le 8 mai 1898 :
« Reverte en «chocolat et or» et Mazzantini «chêne et or», «sphinx énigmatique, déconcertant pour le vulgaire, sublime pour l’aficionado véritable», dixit le chroniqueur local, ont été filmés par Antoine Lumière, avec une caméra abritée sous la présidence. La musique des touristes du Gard a joué la Marseillaise puis la Font de Nîmes, et le cinquième toro de Penalver, qui se nommait Loco ou Caramelo, ne fut pas mou. A un spectateur du premier rang qui lui dit «il est dur», Mazzantini répondra, en français : «Il est plus mauvais qu’un Américain.»
(Jacques Durand/Libération/2/08/2007).
« Derrière le burladero situé sous la présidence s’élève un tréteau. Qu’es acò ? se demande le public. Nous allons au renseignement et nous apprenons que M. Lumière, le photographe bien connu, s’est installé là pour cinématographier la corrida. Ce n’est pas sans peine paraît-il que le grand artiste a pu faire son installation.
Quelque intransigeant de la direction, zélé serviteur sans doute, avait carrément refusé l’autorisation.
On fut obligé d’en appeler à M. le Maire, à la commission des monuments historiques et c’est grâce à eux que dans toutes les capitales on pourra se rendre compte d’une corrida de toros à Nîmes, dans notre plaza, orgueil de la cité. »
(Le Petit Méridional, 9 mai 1898).
Patrice Quiot