PATRICE
Béziers appartient au Languedoc, le vrai, celui des coopératives de Maraussan ou d’Argelliers, celui de Marcellin Albert et des vignerons de 1907.
Le Languedoc que chantait Marty.
L’identité de la ville s’inscrit dans cet imaginaire.
En août, quand la chaleur fait oublier la mer toute proche, les façades de l’avenue Saint-Saëns qui monte des allées aux arènes disent encore le pouvoir viticole d’un début de siècle lorsque les riches s’offraient des « folies » pour asseoir une respectabilité et donner une patine urbaine à une rusticité campagnarde qui commençait à ne plus être de mise.
En août, une fois par an, par cette longue avenue droite et en plein soleil, toute la ville va a los toros avec la force sereine d’une première ligne entrant en mêlée dans l’insouciance d’une kermesse populaire.
Faisant la nique aux majorettes de Magalas qui entourent les chars du corso, endimanchées sur des calèches tirées par des chevaux camargue, les gamines de la Devèze se donnent des airs de duchesse d’Albe. Maquillées, poudrées, les ongles peints en rouge, elles s’éventent dans l’odeur des sandwiches au pâté en rêvant de photos dédicacées.
Les papas en tricot de peau et les mamans en pantalon de jogging les filment quand, au son de l’harmonie encadrée de policiers municipaux, le défilé passe devant « Le Plaza » où chacun se trouve.
Au milieu de la rue, des vendeurs de ballons accrochés par un fil élastique à des petites raquettes rouges ou bleues vantent la qualité de leur chaland à des touristes italiens qui ont fait tout spécialement le déplacement de Valras.
A Béziers, j’aime cette simplicité rustique de visages carrés et de mains fortes, cet ancrage populaire de la fête, le débordement explosif de la folle nuit, ce laisser aller fellinien et les orages qui, soudains et violents, éclatent d’un coup en vidant les terrasses des cafés.
A Béziers, j’aime les familles qui se promènent en descendant doucement du Plateau des Poètes, j’aime la fraîcheur des allées Paul Riquet, la proximité immédiate du vin, le ragoût d’escoubilles et l’accent rugueux qui dit déjà l’Espagne.
Dans les arènes enjolivées des fers des élevages et où les loges se louent à des partenaires publics ou privés, les édiles municipaux, leurs invités et la bourgeoisie locale, parlent, discutent, papotent avant le paseo. Qu’elle soit amicale, politique ou viticole, la palabre, ici s’instaure ici en système.
Plus tard, au-dessus de burladero des toreros, les mêmes s’assiéront sur des sièges en plastique moulé.
Entourées de fleurs et de tissus provençaux, les toilettes des femmes à l’exubérance vive et à la voix forte donnent à l’endroit un caractère outrancier qu’exagèrent les bagues ornées de gros cabochons.
En face, au plein soleil de six heures et jusqu’en haut des générales d’où elle espère tout à l’heure pouvoir un peu descendre, immense, remuante, enfantine, boulimique, presque romaine, la foule attend.
En short, torse nu et espadrilles elle pèse sur l’arène du poids de ses certitudes ancestrales ; en l’observant se découper sur le ciel bleu, elle donne l’idée de ce que peuvent être un énorme triomphe ou un désastre pitoyable.
Cocardière, populiste, elle peut devenir méchante ; enthousiaste, spontanée, elle est grandiose.
C’est peut-être ce à quoi devait penser Robert Margé longtemps aux affaires avant Betarra.
Volubile, entier, méditerranéen, c’est à Robert qu’il appartenait de mettre au point ce dosage si aléatoire qui fera qu’en fin d’après-midi, si Dios quiere, se réalisera la conjonction inimaginable entre un homme, un toro treize mille personnes.
Et Betarra va dans le même esprit.
Cette alchimie délicate est un peu celle du vin :
Une Feria se fait, s’élabore, se fermente. Si elle prend sa charpente aux fondements tanniques du terroir, elle se doit d’avoir aussi de la rondeur et de l’élégance.
Certains esprits chagrins diront que les carteles sont un peu loin de l’identité biterroise, loin des coups d’épaule d’Ortolan ou d’Estève, trop près des envolées huppées des trois-quarts de Biarritz ou de Dax.
Peut-être ont-ils-raison mais le problème se pose : Dans l’Europe où la rusticité ne fait plus recette, où la toile de jute est reléguée aux capharnaüms des greniers, où la parole se doit d’être mesurée peut-on encore imaginer une tauromachie à la seule couleur de terre et au goût de sel, sans adjuvant, sans miel, sans caution esthétique ?
Aussi, si à Béziers on a pris le parti d’attraper la modernité par la queue en taillant sévèrement les vieilles souches d’aramon, c’est parce qu’il n’y a pas d’autre choix.
Et c’est bien ainsi…
Datos
NDLR : Pendant quelques jours, place à l’actualité des ferias… Prochaine publication de Patrice le mardi 16 août…