Vendredi dernier, le 1er Rincón Taurin à l’Espace Pablo Romero avait salle comble pour la réception du matador madrilène Fernando Robleño. Après une présentation de Laurent Giner, Eric Peredes et David Chabal ont animé les débats, Cécile Jean tenant à la perfection le rôle de traductrice.
Ci-dessous, l’intégralité de cette intervention qui a soutenu l’intérêt d’un public qui au final a réservé à Robleño une forte ovation…
« D’abord, je dois dire que je ne connaissais pas ce lieu, aussi agréable et remarquable en ce qu’il apporte à la Fiesta. Franchement, je considère qu’il est unique sur la planète taurine…
Dans ma famille, il n’y avait aucun antécédent taurin, mes parents étaient aficionados, mais je n’ai pas vraiment le souvenir du moment où j’ai annoncé que je voulais devenir torero. Tout mon entourage me voyait jouer avec un capote, une muleta, des cornes, c’était comme un rêve, mais je n’avais alors pas pensé que je parviendrais un jour à le réaliser.
Je vivais alors très près de Madrid, à San Fernando de Henares, où vivait un torero assez connu qui allait à l’école taurine du temps de Joselito, Bote, Fundi. Sa famille a fait pression auprès de mes parents pour qu’ils m’inscrivent, mais je n’avais que neuf ans et il en fallait douze pour pouvoir être retenu. C’était une grande déception pour moi… et un grand soulagement pour mes parents !!!
Durant trois ans, pendant lesquels mes parents espéraient que cette envie de toréer me passerait, j’ai trouvé le temps très long ! Et quand j’ai eu douze ans, je leur ai rappelé que je pouvais à présent être inscrit, mais ils ont refusé car le problème, c’était le trajet. Il est vrai qu’être seul à douze ans dans Madrid pour traverser toute la ville, avec tous les dangers que ça comportait, ça devait les effrayer. Ils ont refusé longtemps, je revenais sans cesse sur le sujet, et un jour, je me suis enfermé dans la salle de bains et je leur ai dit que je n’en sortirais que s’ils acceptaient enfin de m’inscrire ! Ils ont fini par accepter…
L’école était alors dirigée par Gregorio Sánchez et pendant quatre ans, Joaquín Bernadó a été mon professeur. Il y avait beaucoup d’élèves qui se sont fait un nom, alors que d’autres se sont évaporés dans la nature. Mais je me souviens du Juli, de Miguel Abellán, Uceda Leal, Cristina Sánchez, Luis Miguel Encabo, Raúl Cervantes, Sánchez Vara…
Le jour de mes débuts avec picadors, j’ai reçu une grosse cornada et ça a représenté une étape difficile car n’ayant pas d’appuis, j’ai dû m’orienter vers les novilladas dures comme on peut en rencontrer aux alentours de Madrid. Mais avec le recul, ça m’a forgé pour être ce que je suis devenu.
En 1998, je me suis enfermé avec quatre novillos de Javier Moreno de la Cova à Colmenar Viejo. C’était la dernière novillada qu’il devait lidier. Je commençais juste, toute ma famille était là, ils sont allés voir l’encierro le matin et quand ils ont vu les novillos, mama mía !!! Les têtes qui sont dans cette salle sont plus petites que celles de ces novillos ! D’ailleurs, j’ai toréé plus tard pas mal de corridas de toros qui étaient plus petites que ces novillos ! Une épouvante… J’ai pensé que si ça devait être comme ça à chaque fois, ça allait être difficile, mais c’est justement grâce aux efforts fournis à cette époque que j’y suis arrivé.
Dès que j’ai été novillero, j’ai été classé en tant que torero pour corridas dures, le plus souvent dans le « Valle del Terror » avec des élevages de seconde catégorie. En France, j’ai toréé très peu en tant que novillero, seulement à Pomarez où j’avais coupé deux oreilles, une à Hagetmau avec El Cid, une autre d’Antonio Ordóñez à St-Perdon, une de Valverde à Alès et une de El Sierro à Parentis, et pas plus.
En Espagne, mon étape de novillero a été importante, je suis sorti par la grande porte de Madrid, et je comptais prendre l’alternative à Las Ventas, mais ça n’a pas pu se faire. Ce fut une grande désillusion, et finalement, je l’ai prise en banlieue, à Torreón de Ardoz, mais tout de même avec Morante de la Puebla et El Juli… que je n’ai plus beaucoup revus par la suite !!!
Je suis ensuite venu à Céret et mon apoderado pensait ne pas poursuivre avec moi car il prétendait que je ne brillais pas assez, et après l’alternative, j’étais pratiquement tout seul. Je n’avais que la corrida de Céret de signée. J’avais toréé à Alès avant mon alternative et la commission taurine de Céret qui était présente avait apprécié ma prestation. Elle m’avait engagé pour une corrida alors que je n’étais encore que novillero. Les contradictions commençaient car j’avais pris l’alternative ave une corrida de garantie, de Torrealta, et je retombais de suite dans les corridas dures !
A Céret, ce n’était donc que ma seconde corrida, j’étais très blessé intérieurement, je suis sorti avec un état d’esprit particulier, ça passait ou ça cassait, et je pense que les aficionados l’ont ressenti aussi et ont vu ce dont j’étais capable. Et ça a passé…
Quant à mon encerrona de Céret l’année dernière, j’y ai beaucoup réfléchi parce qu’il s’agissait d’un énorme pari, la Feria a une grande réputation chez les aficionados toristas, j’avais souvent triomphé dans cette arène, et j’ai pensé que c’était le moment de faire un geste important. J’en ai parlé avec les responsables de l’ADAC, leur proposant de prendre six Escolar Gil. Je ne savais pas comment ils allaient réagir, puis un soir que j’étais chez moi avec mon épouse, ils m’ont rappelé pour me dire qu’ils étaient d’accord. Quel beau souvenir !
La préparation a été très spéciale, je savais que ça allait être très dur, beaucoup de choses te passent par la tête, je savais qu’il s’agirait de six toros difficiles, et depuis décembre où la décision avait été prise, l’attente a été longue. J’ai été très exigeant envers moi-même car je voulais être prêt, et je me suis d’ailleurs même inscrit au marathon de Madrid ! Je l’ai couru en 3h15, et je pensais que si j’arrivais à surmonter cette épreuve, je serais ensuite capable de mieux franchir le cap de l’encerrona. Mais ça a été quand-même très douloureux…
Il ya chez vous de vrais aficionados qui aiment le toro de verdad, alors que dans mon pays, les aficionados sont généralement plus portés sur la fiesta, le « cachondeo », les sévillanes… C’est un autre type d’aficion, je ne veux pas les critiquer, mais c’est différent.
Suite à cette encerrona, je suis revenu à Nîmes après une dizaine d’années d’absence. Je crois que si je n’avais pas triomphé, je n’y serais jamais revenu ! C’est bien pour ça que j’avais décidé de la faire, pour réaliser quelque chose de marquant afin de combler cette injustice.
Cette année, la corrida a été reportée au lendemain matin, c’était difficile, j’ai été bien à mon premier, mais à la mort, le toro s’est fermé, et le second est sorti plus compliqué. En septembre, j’ai remplacé Manuel Escribano, la corrida de Miura me plaisait, mais la tarde n’a pas été agréable car il y avait beaucoup de vent. Avec mes deux premiers toros, faibles, je n’ai pratiquement rien pu faire et avec le dernier, qui me cherchait des noises, je pense avoir été bien, j’ai fait un gros effort.
Madrid est évidemment une arène très importante pour moi et grâce à plusieurs triomphes, ces arènes m’ont permis d’aller de l’avant. Je crois que l’aficion madrilène est avec moi, elle réagit bien et a su reconnaître les choses à leur juste valeur quand elles se sont bien passées et dans le cas contraire, j’ai aussi essuyé sa légendaire dureté.
Il est évident qu’il est très important d’être programmé pendant San Isidro, c’est la vitrine, l’empresa veut mettre des cartels rematés et si tu y figures, ça te donne de l’importance. En outre, tout le milieu taurin est là, et forcément, un triomphe prend davantage d’ampleur dans le domaine de la communication, et donc de la répercussion.
Pour revenir en 2002, il y a eu des choses positives et d’autres moins, j’ai toréé à Las Ventas à cinq reprises et j’ai coupé cinq ou six oreilles sans que ça n’ait eu hélas beaucoup de répercussion. Le monde de la tauromachie est comme ça, et malgré tout, je suis très heureux d’exercer cette profession, malgré son côté injuste.
La pression de Las Ventas ? Il y en a beaucoup car durant les dix minutes d’une faena, tout peut basculer dans un sens ou dans l’autre. Un torero ne sort pas à Madrid sans pouvoir occulter cette pression, mais c’est certainement pareil pour les sportifs ou les artistes avant un grand match ou un concert dans une grande salle, même s’il n’y a pas de toro en face…
Le public de Madrid est toujours le même, très exigeant, très dur, c’est quelque part quelque chose de nécessaire car sans cela, la plaza n’aurait pas autant de catégorie ! Dire que le public a évolué, c’est difficile, il a vieilli et certains aficionados emblématiques sont décédées, mais elles ont passé le relais à des plus jeunes, l’exigence est toujours là, et quand on est au milieu de cet entonnoir, on entend tout, ça participe de cette pression déjà évoquée.
A Madrid, le toro qui est lidié est sérieux, avec du trapío, mais c’est vrai que parfois, les vétérinaires lèvent un peu la main. Toutefois, je me souviens d’un toro d’Adolfo Martín qui ne pesait pas 500 kilos, mais qui avait un trapío hors du commun. Un toro n’a pas besoin de peser 600 kilos pour avoir du trapío, s’il est astifino, agressif…
Les apoderados ? Quand on en change, c’est que quelque chose n’a pas collé. Il y a beaucoup de motifs, d’une part ou d’une autre, et ça peut être aussi de ma faute pour avoir manqué de patience, pour attendre plus, et quand tu pars avec un autre, c’est forcément parce que tu comptes toréer davantage. C’est très délicat.
Quand j’ai été apodéré par les Chopera, j’étais très jeune, ils ont pensé que je n’avais pas donné ce qu’ils attendaient, j’ai subi sept blessure dans l’année, et je voyais que ça allait être compliqué, d’où la rupture. Plus tard, j’ai eu d’autre apoderados et si je suis maintenant avec Carlos Zuñiga, c’est parce que je pense que ce sera mieux, à tort ou à raison, et j’espère que notre relation durera au moins trois ou quatre ans. Ce que j’attends, c’est ce que tout torero attend d’un apoderado, d’abord qu’il croie en moi, sache me vendre, montre de l’attention, soit à mon écoute, s’occupe bien de moi au quotidien, me prépare bien, m’accompagne partout et enfin qu’il se batte pour moi… Il faut qu’il soit proche dans les bons moments comme dans les mauvais, c’est très difficile pour lui car il est important dans de nombreux secteurs. Mais bien sûr, les toreros ont aussi leur part de responsabilités.
La cuadrilla ? Quand on change un membre de la cuadrilla, c’est comme pour les apoderados, c’est parce que l’on pense que ce sera mieux comme ça. Dans ce domaine, celui qui prend les décisions c’est moi ! Je suis très uni avec mon entourage et il est toujours désagréable de se séparer de quelqu’un, ce sont des décisions difficiles à prendre, mais si ça doit apporter une amélioration, il faut s’y résoudre. Je les choisis en tant que personnes, qu’ils soient éduqués, honnêtes, qu’ils sachent bien se comporter, mais bien sûr, je les choisis aussi pour leurs compétences. Tour le monde peut être meilleur un jour que l’autre, mais pour les picadors, il faut qu’ils sachent bien se placer et écouter ce que je leur demande. C’est pareil pour les banderilleros, il faut qu’ils soient à mon écoute et performants dans la lidia, bref, qu’ils soient de bons professionnels.
Soixante-quatorze corridas avec des toros d’origine Albaserrada, que ce soit de Victorino et Adolfo Martín, ou encore Escolar Gil… C’est une question d’honneur, ce sont des ganaderías envers lesquelles la France donne beaucoup de catégorie et c’est un privilège de les toréer ! C’est un encaste différent, ce sont des toros très exigeants, dangereux, qui demandent beaucoup d’entrega, de concentration, parce qu’ils ont rapidement du sentido et il faut leur faire très bien les choses. Mais c’est aussi un toro qui transmet de l’émotion, et quand il embestit, on peut faire de grandes faenas. De toutes ces ganaderías, j’aime beaucoup les encastes, Albaserrada, Saltillo, Santa Coloma, mais en vérité, avec les Dolores Aguirre, je n’ai pas eu la chance de triompher. Je respecte beaucoup cet élevage qui a eu des toros importants, mais ça n’a pas été hélas mon cas.
Je sais très bien que les aficionados veulent me voir avec des corridas du créneau torista, et vouloir changer vers des corridas plus commerciales, ça n’a jamais été à l’ordre du jour dans les propositions qu’on a pu me faire ! Mais de temps en temps, une corrida plus douce, pourquoi pas. On ne se plaint jamais que la mariée soit trop belle…
Dans les tentaderos, je vais plutôt dans les ganaderías dans le créneau des toros que je prends pour mieux me familiariser avec ce type de bétail.
Les corridas de Pablo Romero ? J’en ai toréées trois, à Almería pour quasiment une encerrona, avec Luis Francisco Esplá et Curro Vivas. Au premier, Esplá a été blessé aux banderilles, puis Curro Vivas aussi. Je me retrouvais donc avec les six, mais après avoir été soigné, Esplá a décidé de ne pas me laisser seul et il est ressorti de l’infirmerie. On l’a donc finalement toréée tous les deux. En tant que torero, c’est triste de voir que cette ganadería n’occupe plus le rang qui a été le sien… A Vitoria, j’en ai toréé un de 670 kilos très impressionnant qui avait autant de caste que de tamaño ! Ça s’est bien passé, et d’ailleurs, contrairement avec les Dolores Aguirre, j’ai toujours eu de la chance avec cet élevage puisqu’à Daimiel, ça s’était aussi bien passé.
Dès que j’ai été matador, l’association des matadors m’avait contacté pour toréer en Chine en février ou mars, on a perdu huit jours et franchement, c’était une catastrophe ! Quant à l’Amérique, j’y suis très peu allé car les apoderados jugeaient que la plupart du temps, ce n’était pas le type de bétail qui me correspondait. Mais j’aimerais bien aller au Mexique, où l’encaste Saltillo est bien présent.
Avec la crise, pas mal de corridas ont disparu, mais c’est en prenant soin de la Fiesta, en l’aimant et la respectant, que l’on pourra la conserver. Pour cela, il faut se mettre au travail.
Pour 2014, il n’y a encore pas grand-chose d’arrêté, les négociations sont en cours. J’ai connu pas mal de tardes positives en France et je compte bien retourner dans la plupart de vos arènes… en espérant que vous pourrez voir du bon Fernando Robleño ! »
L’intervention de Robleño s’est poursuivie par la remise de cadeaux, notamment deux photos de Michel Volle rappelant à Fernando sa triomphale encerrona de Céret en 2012. Enhorabuena, Maestro !
(NDLR : Prochains rendez-vous… Le vendredi 24 janvier avec trois générations de la famille de Victorino Martín, le lendemain, samedi 25, rencontre avec Ruiz Miguel. Enfin, le 22 février, les invités seront les responsables de la Revue « Toros » nouvelle formule. A vos agendas…)
AIGNAN
Pour Pâques à Aignan 2014, les élevages proviendront du Lartet pour la novillada du dimanche matin et de Valdefresno pour la corrida de l’après-midi.
aignanytoros@orange.fr
http://aignanytoros.free.fr
LEAL
TOMÁS
Un soutien de marque…
BAYONNE
David Adalid, Marco Galán, Alberto Sandoval… La cuadrilla de Javier Castaño se raconte à Bayonne le 21 décembre. Née de la passion de jeunes aficionadas bayonnaises, « Oro y Azabache » est une association taurine qui a vu le jour officiellement cet automne.
Après un coup d’essai cet été avec un cours de toreo de salon donné par Alberto Aguilar, « Oro y Azabache » se propose de vous faire rencontrer quelques-uns des membres de l’excellente cuadrilla de Javier Castaño. « Torero, histoire d’une vie » leur permettra de revenir sur leur parcours depuis leurs débuts et de leur manière de vivre la tauromachie dans le sillage de leur maestro. Cette conférence à l’entrée libre se tiendra dans l’enceinte du Trinquet Moderne à Bayonne le samedi 21 décembre à 19h30.
(Communiqué)
MIURA
Pour la temporada 2014, les toros de Miura fouleront les ruedos d’Arles, Nîmes et Béziers pour la France, et de Madrid, Séville et Pamplona en Espagne.
Restent deux lots, un pour la France et un pour l’Espagne, sans dest ination encore précisée.
PLANÈTE