A St-Avold (57500), en Moselle, en novembre 2010 et comme à Caissargues, le mois commençait le 1er et finissait le 30. A Chiclana, aussi.
 
A St-Avold, en novembre 2010 et comme à Uchaud, les saints célébrés chaque jour sur le calendrier étaient les mêmes. A Madrid, non.
 
A St-Avold, en novembre 2010 et comme à Bezouce, le prix du timbre-poste vert était arrêté à 0,58 cts et celui de la baguette de 250 grammes conseillé à 0.93 cts. A Tempul, non.
 
A St-Avold, en novembre 2010 et comme à St Chaptes, le JT de 20h de David Pujadas était le même. A Chipiona, non.
 
A St-Avold, en novembre 2010 et comme à Générac, les coiffeuses restaient toujours des coiffeuses et les instituteurs socialistes barbus toujours des instituteurs socialistes barbus. A Dos Hermanas, aussi.
 
Cependant et malgré quelques ressemblances assez troublantes, St Avold en novembre 2010 n’était pas tout à fait Caissargues, Uchaud, Bezouce, St Chaptes ou Générac. Ni Chiclana, ni Madrid, ni Tempul, ni Chipiona, ni Dos Hermanas.
 
Et encore moins Nîmes.
 
Deux situations in situ, illustreront l’étude sociologique et marqueront les différences.
 
Par exemple, la voisine d’en face.
 
Elle devait avoir quarante-cinq herbes, était mariée avec M. Fulano, n’était pas née à la Clinique des Bleuets ou au CHU de Caremeau, ne savait pas ce qu’était une cèbe, una ración de boquerones, una caña de Mahou, pensait qu’une puntilla était une plage privée de Punta Cana et imaginait que le descabello comme l’abrivado relevaient du registre de l’opéra italien !
 
Elle vivait là depuis 22 ans, ne travaillait pas à la Source Perrier, était abonnée à «Nous Deux», ainsi qu’aux promos de «Leader Price», mais pas à «Semana Grande» au «Midi Libre» ou au « Diario de Jerez», déjeunait à midi pile, dînait à 19h15 et pestellait ses volets à 20h. Elle ne passait pas ses vacances au Grau du Roi, ni à Matalascañas mais chez la cousine de Marienthal, ne montait pas à cheval chez Aubanel, la gamine n’allait pas à l’école au collège de la Révolution, mais chez les sœurs de Ste Chrétienne… et ne suivait pas les cours du CFT.
 
Quant au papa, son vote était diamétralement opposé à celui dont se revendiquaient Pepe Dominguín et José Luis Parada.
 
 
Une analyse trop rapide de cette situation sociologique aurait pu amener à des conclusions certes assez logiques, mais pourtant trompeuses. Car, la voisine d’en face était étonnante.
 
Elle, son truc monomaniaque, son goût exclusif, sa joie de vivre, son aficion, son bonheur secret, sa petite madeleine, son grand-œuvre, son Pernod du dimanche, c’était la lessive !
 
Monomaniaque, un peu comme l’était l’ami Jean-Louis Lopez avec les bouquins de toros et comme l’est JOL avec le bleu et la lexicologie pendant la semaine et avec Fanny Ardant le dimanche.
 
Alors, vous imaginerez facilement qu’en novembre, elle profitait des derniers bienfaits des températures d’automne pour satisfaire sa passion secrète avant que les frimas hivernaux la condamnent définitivement à l’étendage a puerta cerrada.
 
Aussi, dès que le mercure dépassait les 4°centigrades et qu’un maigre rayon de soleil réchauffait les pieds de rhubarbe, le pommier rabougri ou l’herbe du jardin tondue ras et finie au ciseau, hop-la, Maman se mettait à étendre sur l’étendoir gris dont elle essuyait méticuleusement les fils avant chaque utilisation.
 
Plus méticuleuse que 2R, le valet d’épée du «Chino », elle étendait tout :
 
Des draps rayés, des torchons à carreaux, des serviettes de table en coton, des sorties de bain en bouclette, des chemises en pilou à manches longues, des chemises en flanelle à manches courtes, des tee-shirts sans manches, des polos avec dessus la tronche de Donald, les pantalons et les marcels de Papa, les baskets de fifille, le nounours en peluche de la même, le sac dans lequel elle range le pain, les sacs en plastique du «Cora» de Longeville, les sacs de congélation  du « Thiriet » de Creutzwald, une manique grise en titane, deux maniques en coton rose, les gants de toilettes de la liste de mariage, les éponges de cuisine et la couverture en celluloïd qui protège le barbecue que Pépère a fabriqué avec des matériaux de récup de la mine et dont il a la charge exclusive.
 
Aussi hétérogène que le coffre d’une bagnole de piche !
 
C’est dans cette logique qu’un jour de novembre 2010 où se donnait une becerrada d’anthologie à Huercal-Overa (Almeria), elle avait fait trois très grandes faenas lavandières : La première à 9h12, la seconde à 12h46 et, à 17h22, elle venait à peine de rentrer la troisième dans une grande banaste jaune en prenant bien soin de quitter ses souliers et d’en essuyer les semelles avec un chiffon accroché à un clou au coin de la terrasse avant de réintégrer le salon de la casa et préparer la comida du soir qui bien évidemment excluait les garbanzos, l’ail, le thym, les olives ou les anchois.
 
Après le troisième charroi, la pluche des pommes de terre et la confection du fricot arregladas, fourbue, défaite, épuisée mais heureuse, elle était sortie fumer une cigarette.
 
Comme le faisait le Maño après avoir collecté l’impuesto auprès du mozo de espadas.
 
En leggings à fleurs, les yeux perdus dans le vague du soleil se couchant sur l’usine carbochimique de Carling, les lèvres entrouvertes, clone d’une Emma Bovary du 57 qui se passionnerait pour le tirage du jour du « Keno », elle implorait la Macarena des machines à laver le linge pour que demain il fasse encore beau.
 
Aussi surréaliste que Loulou Nicollin citant Platon, qu’André Kabyle marquant contre son camp ou qu’Allain Bougrain-Dubourg demandant à Simon de lui filer un callejón.
 
Figura maxima de la colada, monstruo del jabón en polvo, fenómeno del blanqueador, agente suavizante de postin… Voilà la voisine d’en face.
 
A suivre…
 
Patrice Quiot