Ils marchaient toujours.
 
Singuliers en castaño et noir.
 
Traversant les champs de maïs, les vignes de Folle Blanche et les pins odorants de leur plaie au flanc.
 
 
 
Pèlerins athées à la liturgie secrète.
 
Ils adoraient le culte du soleil.
 
Et défendaient ce que d’autres veulent interdire.
 
 
 
Ils ne regardaient pas derrière eux.
 
Mais savaient que partout.
 
La peste de la bien-pensance maintenant ravageait les campagnes.
 
 
 
Ils s’en moquaient.
 
La sauvagerie, l’élégance et la caste.
 
Se lisaient en rosa y verde dans les couleurs de leur étendard.
 
 
 
Les villages défilaient dans la douceur du plaisir de l’attente.
 
Ils savaient que les bérets et les mains calleuses de ceux qui les regardaient passer.
 
Iraient bientôt assister à leur messe pascale.
 
 
 
Un soir, ils s’assirent en rond pour écouter Hamlet qui dans leur langue leur rappela qu’il y a deux ans Uceda avait été grand à Madrid avec un toro du Puerto.
 
Que Dorian, le Béarnais sera à La Brède en juin avec les toros de Robert et en juillet à Eauze avec ceux de Pascal.
 
Et qu’il y a dix jours, Christian était sorti par la grande porte de San Agustín de Guadalix.
 
 
 
Le lendemain, la luna vino a la fragua con su polisón de nardos.
 
Elle leur dit qu’Alejando, celui d’Iniesta, avait triomphé à Valencia, qu’il sera à Madrid le 21 mai et que celui de Miraflores de la Sierra y viendra le 28.
 
Et leur dit aussi que Tomás avait été en poussière d’étoiles à Olivenza, qu’il sera à Madrid avec les Montealto le 14 mai et le 30 à Séville devant les novillos de Talavante.
 
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Ils furent fiers.
 
De considérer que l’excellence de leur race.
 
Serait confrontée à la maestría d’une autre.
 
 
 
Une nuit, ils eurent froid et se couvrirent des vestidos d’affection.
 
Que leur offrirent les amis d’«Aignan y Toros» et ceux de la «Peña Taurine Mugronaise».
 
Cette générosité bénévole les émut.
 
 
 
Ils se nourrissaient des galets des fleuves et d’un pienso d’hosties tiré de leur besace.
 
Ils buvaient l’eau des pluies.
 
Et laissaient derrière eux des déjections d’or fin qui marquaient la géographie de leur errance.
 
 
 
Ils chantaient des cantiques en marchant.
 
Les paroles narraient des épopées.
 
Et la musique ignorait les lignes de la portée.
 
 
 
Quand ils atteignirent leur destination.
 
De leurs cornes, ils trouèrent la terre, excavèrent une hirondelle.
 
Et s’en partagèrent la chair.
 
 
 
Au même moment, en des milliers de lieux d’Espagne et de France.
 
Naquirent des toros célestes.
 
Et des enfants en habit de lumières.
 
 
 
Aussi, dans l’esprit de leur odyssée, accompagnons-les dans leur pèlerinage. 
 
Car, si vivre les toros à Aignan et Mugron est un acte de foi humain.
 
Y aller le week-end de Pâques relève d‘une élévation torera…
 
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Datos 
 
Les toros de Baltasar Ibán sont le fruit d’une longue histoire commencée au XIXe siècle, lorsque dans les années 1850, Dolores Monge, veuve Murube, croisa du bétail Picavea de Lesaca avec du bétail d’origine Comte de Vistahermosa.
 
50 ans plus tard, en 1907, Juan Contreras créa son propre élevage en faisant l’acquisition auprès de Tomasa Escribano, également veuve Murube, de 90 vaches et 3 mâles. Juan Conteras n’était ni aficionado, ni ganadero, mais sur les conseils de Joselito, il créa un toro de combat pétri de caste et de bravoure, à la tête confortable et au caractère noble, ce qui lui attira les préférences de Joselito et de Belmonte, les deux plus grands toreros de l’époque. Pour des raisons non encore élucidées, Contreras vendit son élevage en 1920, après la mort de Joselito, à des éleveurs salmantins.
 
En 1957, il fut racheté par Baltasar Ibán. Orphelin de père à 14 ans, avec cinq jeunes frères à charge, il multiplia les petits boulots avant de travailler dans un garage de vélos, puis de camions avant d’acheter le garage et enfin de faire fortune. Lorsqu’il mourut en 1976, il possédait de nombreuses affaires, dont plusieurs garages, des sociétés de ventes de voitures, une flotte de camions, deux des plus grands palaces de Madrid, le Wellington et le Claridge, le Ranch Wellington de Marbella et deux élevages de renom.
 
Balta, comme on l’appelait dans le mundillo, ne se borna pas à acheter terres et toros… Il devint un authentique éleveur et même l’un des meilleurs. Ses toros, les seuls à être marqués sur le flanc gauche selon une tradition inaugurée par Contreras, furent souvent primés à Madrid et dans de nombreuses arènes d’Espagne et de France.
 
Le 2 mai 1969, l’élevage était à son apogée quand Camino et Litri coupèrent 5 oreilles à Madrid. Puis arriva le toro commercial et la mode du gigantisme. La critique trouvait les Baltasar Ibán trop petits et peu armés. On jugea aussi leur caste insolente, certains écrivirent même que les gènes de Lesaca étaient de retour. Très réactif face à l’adversité, Balta acheta du bétail de sang J. P. Domecq, créa un nouveau fer, “Los Guateles”, et commença à faire des croisements avec ses vaches de sang Contreras. Les résultats furent des plus positifs. Les Contreras y gagnèrent en format et en armures, mais aussi en noblesse lors du troisième tiers. À sa mort, tous ses biens passèrent aux mains des Jésuites et de l’Université Pontificale de Comillas régentée par la Compagnie de Jésus, à l’exception des élevages de toros qui restèrent dans la famille.
 
Aujourd’hui c’est une petite-nièce, Cristina Moratiel Llarena, qui préside aux destinées de la ganadería, aidée par son mayoral Domingo González. Le 2e fer, Los Guateles, revint au bras droit de Baltasar, Antonio Carnerero.
 
Aignan : 950 habitants ; « Arènes André-Ladouès », du nom d’un fervent défenseur de la Course Landaise et fils d’un ganadère local, Paul Ladouès. Arènes de type traditionnel : piste oblongue, 2380 places, dont 300 couvertes. Aignan est citée en 1890 comme l’une des communes du Gers où les courses de taureaux se font le plus régulièrement. Elles se déroulent alors dans des arènes en bois démontables, que la municipalité décide, en 1931, de remplacer en raison de leur vétusté. Les 4 et 5 septembre 1932, de nouvelles arènes en ciment armé sont inaugurées sous la présidence d’Abel Gardey, Gersois natif de Margouët-Meymes, ancien conseiller général du canton d’Aignan et alors ministre de l’Agriculture. Uniquement dédiées à la Course Landaise à l’origine, elles se sont ouvertes à la course espagnole à partir de 1993 et ont fait l’objet d’une réhabilitation en 2010-2011. Aujourd’hui, la corrida de Pâques est devenue un évènement majeur dans les rendez-vous autour de la tauromachie espagnole
 
Mugron 1 400 habitants ; 2300 places dans les arènes ; 39 ans de passion ; 1er cartel en 1986 :   Toros de Roland Durand pour Juan de los Reyes, Angel Leria, Miguel Marcos.
 
1993 : Triomphe de Javier Conde ; 1995 : Triomphe de Jose Tomás ; 1996 : Lleno pour la présentation de Cristina Sánchez ; 1997 : Morante.
 
Et aussi : Juan Bautista, Sébastien Castella, Daniel Luque, Ginés Marín, Tomás Rufo…
 
Patrice Quiot