PATRICE
« Par pitié, par pitié Manolo, n’y va pas ! » suppliait Angelita en pleurant.
Lui, s’inclina, l’embrassa sur les yeux et lui dit « Ne pleure pas ». Puis, il caressa son costume de lumières et ajouta : « Ce soir, je t’achèterai une maison ou tu porteras mon deuil ».
Ce torero, c’était Manuel Benitez « El Cordobés ».
De retour à la maison après le premier triomphe dans son village (Palma del Río) et brandissant oreilles et queue, Manolo sortit un vieux mouchoir aux coins attachés et l’ouvrit.
Il était rempli de monnaie et de billets froissés. Il en prit une partie et la donna à sa sœur :
« Prends les premières 1000 pesetas que je te donne».
En peu de temps, le fils du Renco continua à prospérer ; très vite, il acheta une voiture et très vite il put dire à sa sœur :
« Voici la maison que je t’avais promise ».
Il attirait l’argent comme un aimant.
Sa carrière fut fulgurante.
En 1963, il prit l’alternative à Cordoue.
Très vite, il empocha 1,5 millions de pestas par corrida (265 000 €).
En 1967, Benítez percevait 2,5 millions de pesetas pour faire le paseillo à Madrid. ; plus de 441 000 € de nos jours et qui permettait d’acheter un appartement de 300 mètres carrés en plein Barrio de Salamanca de Madrid.
La fameuse anecdote de l’oreiller permet de mieux préciser le contexte
Rappelons les faits :
Fin janvier 1967, dans sa finca de Villalobillos, le diestro rêva qu’un toro noir le tuait. Il appela Madrid et annonça qu’il se retirait du toreo. A cette annonce, des centaines de Sévillans se précipitèrent à la Maestranza pour demander le remboursement de leur abonnement pour la Feria d’Avril.
Les économistes calculèrent que cette retraite coûterait plus de 300 millions de pesetas aux hôtels, restaurants, taxis et revendeurs.
Quant aux impresarios, les cent après-midi sans El Cordobés leur coûteraient plus de 250 millions de pesetas.
Aussi, six jours plus tard, le 6 février, se présentèrent à Villalobillos, Livinio Stuyck, Pablo Chopera, Pedro Balaña, Diodoro Canorea et les impresarios les plus importants d’Espagne pour le faire changer d’avis.
Ils le supplièrent pendant 47 minutes, soulignant que sa décision pouvait lui coûter plus de 100 millions de pesetas en procès.
Le diestro revint sur sa décision et la paix fut signée.
Cette anecdote témoigne de deux choses.
D’une part, l’énorme capacité que possédait Manuel Benítez pour créer de la richesse, d’autre part d’arriver à la conclusion que l’impact économique de cent corridas d’El Cordobés représentait 550 millions de pesetas d’alors, soit 74 millions d’euros.
Il fut élevé à la dignité de cinquième calife par la ville de Cordoue et Rosa Aguilar, la première maire communiste de l’après-franquisme.
« Par pitié, par pitié Manolo, n’y va pas ! » suppliait pourtant Angelita.
Sources : Juanma Lamet dans la revue Tauroeconomia./Septembre 2017.
Patrice Quiot