PATRICE
Dans son récit «L’anniversaire de l’Infante», Oscar Wilde présente le nain comme un «jouet vivant pendant la fête, mais qui, une fois qu’elle est finie, n’est plus qu’un objet au cœur brisé».
Armando était nain, mais était aussi torero ; c’était un nain-torero qui se produisait dans l’une de ces troupes comico-taurines qui, il y a quelques dizaines d’années, étaient avec les troupes de monos-toreros indissociables de toutes les fêtes de pueblos.
Certes, la troupe dans laquelle figurait Armando n’avait pas la renommée de celle des «Bomberos Toreros» de Pablo Celis ou de celle du «Platanito» qui remplissaient les arènes des capitales de province où régnaient les gouverneurs militaires aux lunettes noires et à la fine moustache. Elle faisait pourtant le ravissement de ceux qui de Chantada en Galice à Vara del Rey dans la Mancha et de Paniza en Aragon à Tempul en Andalousie allaient la voir se produire dans des portatives en fer rouillé ou dans les arènes faites de madriers maladroitement assemblés d’une Espagne archaïque et catholique de fin de règne franquiste.
Armando venait de Torremocha entre Cáceres et Mérida, était l’ainé d’une famille misérable de douze enfants, avait cinquante ans y pico, était illettré et faisait le taf de clown depuis l’âge de neuf ans. Mais Armando n’était ni Carmelo Tusquellas, ni le Triboulet de Louis XII et de François Ier ou encore le Francisco Lezcano de la cour de Philippe IV et plus il prenait de l’âge, plus il se voyait reprocher par son méchant homme de patron de ne pas assez faire rire le public et menacé de voyager dans le coffre de la furgoneta.
Mais voyager dans le coffre, se prendre une grosse rouste par une vieille vache à laquelle on avait cousu des couilles pour la faire passer pour un toro ou même se faire tuer, importait peu à Armando car il était amoureux.
Dans l’un des villages où Armando s’était produit, il avait croisé le regard d’une femme qui lui avait souri ; ivre d’un mauvais vin et à la demande de ses amies, elle lui avait donné un baiser sur la bouche.
Elle venait de Leyde, qui a vu naître Rembrandt, passait ses vacances dans un pays où la vie n’était pas chère et où l’aventure la changeait de la contemplation béate des polders et des vaches ; atrocement ordinaire, elle engloutissait des harengs dans sa bouche fardée en buvant du café au lait. Elle avait de gros seins d’une blancheur laiteuse et avait fait d’Armando son joujou. En riant aux éclats, elle avait laissé une adresse glissée dans la braguette de la taleguilla du nain-torero et lui, en la remerciant, lui avait offert sa petite muleta sur laquelle il avait écrit de sa main potelée la liste des villages qu’il traverserait disant à la Batave que, dans chacun d’entre eux, il irait à la «lista de correos» pour attendre un signe d’elle.
Tous les jours, il lui envoyait quelque chose ; un peu de la terre de Tomelloso, un brin de paille, l’eau bénite du Guadalete le fleuve de l’oubli, les petits gâteaux que les nones de Santa Clara lui faisaient passer par le guichet du Convento d’Alcalá de Guadaira ou une larme séchée sur du papier buvard.
Tous les jours, ainsi, il lui disait un amour qui demeurait sans retour. Les autres se moquaient de lui et le patron le battait comme plâtre, mais il s’en foutait.
Il vécut dans ce rêve pendant une temporada.
Un jour, il reçut un signe d’elle. Sur un sous-bock de bière tâché était griffonné : «Schrijf me nooit meer imbeciel” que l’obispo de Talavera de la Reina auquel Armando avait demandé une audience privée lui traduisit par “Ne m’écris plus jamais, con de nain”.
Armando ne pleura pas, mais le lendemain, il se jeta du troisième étage de la fenêtre de la sordide pension qui hébergeait la troupe. Le velum d’un estanco amortit sa chute et Armando fut transporté à l’hôpital de la ville la plus proche. Quand ses compañeros vinrent lui rendre visite, ils découvrirent que les médecins avaient abandonné le joujou délaissé dans une vieille couveuse désaffectée.
Datos
Le jeudi 27 avril 2023, les parlementaires espagnols ont interdit les spectacles présentés par des troupes de personnes atteintes de nanisme.
La loi interdit « les spectacles ou les activités récréatives dans lesquels des personnes présentant des infirmités […] sont utilisées pour susciter la moquerie, le ridicule ou la dérision du public ». Elle vise à faire respecter en Espagne les directives de l’Union Européenne en matière de discrimination contre les personnes en situation de handicap.
Patrice Quiot