Il parait que la recette remonte au XIIème siècle et que ce serait un moine bénédictin répondant au doux nom d’Aymaerich Picaud qui l’aurait créée pour satisfaire l’appétit des pèlerins de la ruta jacobea.
 
Il y est fait référence dans le «Codex Calistinus» qui était conservé à la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle jusqu’à ce qu’il y fût dérobé le juillet 2011 avant d’être retrouvé le 4 juillet 2012 dans un garage à proximité de la basilique après l’arrestation d’un employé de l’église et de ses trois complices.
 
Beaucoup plus tard, Hemingway mentionna le plat dans un des courriers qu’il adressait à son ami William. B. Smith Jr en précisant la qualité des salmonidés du río Irati et qu’il évoquera aussi dans les chapitres 11,12 et 13 de «Fiesta».
 
C’est vous dire si la trucha a la navarra est sacramentelle et n’est pas du n’importe quoi.
 
Ce préalable posé, il importait de communiquer la recette du plato et, pour se mettre dans l’ambiance et en imaginer la saveur, cela ne pouvait bien évidemment se faire que dans la langue du manchot de Lepante :
 
« Existen innumerables recetas de este tipo de pescado, pero por regla general se refiere a un pescado relleno de migas de jamón y frito en una sartén. En algunas preparaciones, en lugar de rellenar la trucha con pedacitos de jamón (jamón serrano) o panceta se envuelve esta con lonchas completas de jamón, empleando para ello un mondadientes que sujete el conjunto. En algunas versiones menos tradicionales se suele emplear bacón ».
 
Ça ne sent pas l’Espagne ça ?
 
Nous sommes en juillet 1984 et à cette époque-là, j’avais un peu à faire avec Paco Alcalde, matador de toros de son état.
 
François Mitterrand lui ne devait pas penser à Paco Alcade lorsqu’il demanda à Alain Savary de retirer son projet sur l’enseignement privé, mais plutôt à Laurent Fabius qu’il nommera premier ministre et qui constituera un gouvernement sans ministres communistes. Il n’avait probablement pas en tête qu’à Nîmes, Christian était dans sa septième année d’alternative, que Stéphane la prendrait cinq ans plus tard et que Denis rentrait au Centre Français de Tauromachie.
 
Donc, comme l’ami Paco toréait la corrida de la Prensa, ce fut l’occasion de retourner dans la ville connue dans les textes arabes sous le nom de Mayrit et le train nous parut idéal pour ce faire.
 
Montpellier-Cerbère puis changement jusqu’à Barcelone où nous arrivâmes un peu avant l’heure où, comme dit la littérature grasse comme un churro, « Thétis la bisexuée chasse Phébus aux crins dorés ». Puis, Talgo (Tren Articulado Ligero Goicoechea Oriol) «Pendular » de Barcelona-Sants à Madrid-Chamartín en wagon-lit doté d’un wagon-restaurant qui voulait avoir les attributs de «l’Orient Express».
 
Serveurs en veste blanche galonnée de rouge, serviette sur le bras droit, moquette al suelo, fauteuils en velours, pianista à moustache et maitre d’hôtel qui, bien entendu, avait le porte-clés qui pendait de la poche du pantalon. «L’Insoutenable légèreté de l’être» était le titre du roman de Kundera publié cette année-là.
 
C’est dans ce décor d’un autre monde que je fis connaissance avec la trucha a la navarra servie sous cloche de simili argent qui m’enchanta et dont je m’efforçais de garder le goût en bouche jusqu’à l’arrivée à Madrid le mercredi matin.
 
Taxi de Chamartín à l’hôtel Matute, douche et cambio de vestido avant rendez-vous au «Wellington» avec Manolo Ortiz et le frangin d’Alcade ; Manolo faisant partie de la « Cuadrilla del Arte » qui accompagnait le torero et le frangin faisant je ne sais plus trop quoi dans la vidéo tauromachique.
 
En attendant les deux compères on se tapa une boutanche de manzanilla dont les effets me firent paraître encore plus gros le toro de Baltasar Ibán qui trône dans le hall de l’hôtel et devant lequel je me mis pour essayer de comprendre ce qui peut bien se passer dans le teston de ceux qui en font leur métier.
 
Au resto où nous déjeunâmes avec les deux collègues, la trucha a la navarra ne figurait pas sur la carte, ce qui ne nous empêcha nullement de régler ce que nous avions à régler et de sortir de l’endroit empégués.
 
Bel apéro vespertino à la «Cervecería Alemana», collation vernaculaire malheureusement sans trucha à «La Viña P» et fin de soirée sur un banc de la plaza Santa Ana à regarder les gens qui passent. 26 degrés au mercure à onze heures et demie du soir, des enfants braillards qui se goinfrent de «Chupa Chups», des taurinos, des groupes de jeunes qui sifflent les gonzesses, un début de bagarre entre deux pébrons…
 
Un encanto.
 
En allant me coucher, je jetais un dernier coup d’œil au cartel affiché sur la devanture du tablao flamenco jouxtant «La Burgalesa».
 
Il disait : Jueves 5 de julio 1984 : Corrida de la Prensa ; Corrida concurso : Toros : Herederos de Felipe Bartolomé, Manuel García Aleas, Alonso Moreno, Marqués de Albaserrada, Torrestrella, Joaquín Murteira pour Manolo Arruza, Paco Alcalde y José Nelo “Morenito de Maracay».
 
Dans sa maison, Felipe González devait dormir et dans son palais la Sofia choisir la cravate de Juan Carlos qui avait fait savoir qu’il assisterait à la corrida du lendemain…
 
A suivre…
 
Patrice Quiot