Critique de Daniel Jean Valade…
 
Lors des grandes manœuvres lancées par le député Caron, Yannis Ezziadi a signé, dans « Causeur », un superbe article de soutien à la corrida. Aujourd’hui, il publie chez Fayard (soulignons le courage de cet éditeur d’ampleur internationale…) un très sensible ouvrage retraçant son itinéraire de néo aficionado que bien des vieux de la vieille pourraient prendre en exemple de conviction(s)…   
 
De format 19×21, le volume compte près de 200 pages. Il est enrichi d’un cahier de 16 feuillets de photos. Un glossaire permet de traduire les termes techniques. La photo de couverture est emblématique : corne, mufle, muleta et patte soulevant le sable du ruedo. 21 chapitres composent le texte.
 
PREMIERE CORRIDA. L’auteur nous confie que c’est en 2020 qu’il est entré dans l’arène. Il évoque le déclic initiatique : un dessin taurin d’Henri de Montherlant, que nous avons, pour notre part, inséré dans l’édition de notre communication à l’Académie des Beaux-arts/Institut de France sur le thème « L’imaginaire et la tauromachie ». Y. E. se souvient de ces sensations lorsque Miguel Ángel Perera a toréé. Il écrit avec inspiration : « La mort, cachée sous son masque de toro ». Il ajoute : « Je peux même le confesser : je pense que la tauromachie a fait de moi un homme meilleur. Parce qu’elle expose des possibilités humaines de courage, de stoïcisme, de contrôle de soi qui sont devenues des exemples à suivre dans ma vie quotidienne ».
 
LA MORT donne la parole à Simon Casas citant Antonin Artaud : « On cache les cimetières derrière des cyprès » ! Le subtil directeur des arènes de Nîmes pose : « Le pape et moi savons cela » !
 
MIURA décrit les sentiments de l’auteur face à ces animaux mythiques : « Miura, dont les cornes portent la tragédie ».  
 
Y. E. a rencontré plusieurs personnalités du monde culturel, dont ALAIN FINKIELKRAUT qui a vu une seule corrida dans sa vie (pour l’instant), le solo de José Tomás, (que nous avons eu l’honneur de présider). L’Académicien français évoque cette matinée exceptionnelle et rappelle sa fascination pour « Le torero mort » de Manet.
 
L’auteur de cet ouvrage si dense a voulu pénétrer et se faire discret dans la CHAMBRE D’HÔTEL de M. A. Perera. Il qualifie alors ce lieu banal qui, au regard de ce que le torero y vit, devient un espace terrible et sacré : « On vient visiter un mort vivant ». Sur ce thème : « Les fantômes hantent les corridas ».
 
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CURRO CARO se voit consacrer un long et très sensible chapitre. Jamais encore, nous n’avions entendu/lu une telle confession, pleine de vérité et de poésie. C. Caro nous confie : « Ah ! Torero gitan, bien sûr !… Torero d’inspiration, torero de sentir. » Le matador de toros qu’il est nous rappelle les deux notions de « duende » et de « pellizco ». Il ajoute : « la vidéo ne sait pas capter la grâce ». Superbe !!! « Etre artiste » signe la conclusion de ce passionnant entretien, que Jacques Durand commente ensuite. 
 
LE SOUFFLE DE LA PEUR est un autre mot/mal/ pour le vent, ennemi numéro 1 du torero, mais aussi cruel révélateur de sa compétence et de sa maîtrise.
 
Toute initiation tauromachique nécessite une compréhension de l’art d’élever des toros. Pour cela, Y. E. visite la ganadería de Robert Margé qu’il “confesse”. Evidemment, cette immersion biterroise conduit à SÉBASTIEN CASTELLA, « droit comme un cri ».
 
La rencontre en direct avec les toros aboutit à une réflexion sur ce fauve mythique qui incarne la notion d’AMBASSADEUR. 
 
Rencontre émouvante avec Alain Montcouquiol et à travers lui, avec Nimeño II que l’auteur évoque en dialogue avec son frère dans un chapitre très sensible sous le titre « LEURS RÊVES ENLACÉS ». 
 
Logique retour sur un très puissant moment de tauromachie, celui où Christian Montcouquiol Nimeño II prit, en héros la responsabilité de cette terrible corrida de Guardiola après la blessure, dès son premier adversaire, de VICTOR MENDES, le portugais toréant lui-même, en une forme de miroir dramatique, le Miura qui blessa Nimeño à Arles, ce dont nous avons été témoin. 
 
Plus légère mais aussi vraie, la partie où l’auteur analyse le TORERO SWING, tauromachie et jazz, « swing et duende ».
 
Cela correspond bien à cet autre artiste, l’architecte RUDY RICCIOTI, “père” notamment du Mucem de Marseille, grand aficionado, fumeur de havanes, fils de Salin de Giraud dans la tignasse duquel s’ébrouent le sel et les enganes de sa Camargue natale. Le fils de Vitruve, présent à Nîmes lors du solo de José Tomás, dit de ce torero irréel « … il fut christique », affirmant la foi Riccioti.
 
Une corrida, et l’immersion dans son si complexe univers, a débuté, dans l’espace et dans le temps par L’EMBARQUEMENT des toros, opération délicate, grave, intense et… sans retour. L’auteur décrit avec un luxe de détails et de finesse « ces couloirs de ruses » observés à la ganadería de Dominique Cuillé.
 
L’ouvrage de Yannis Ezziadi témoigne d’un sens aigu de l’observation, d’une pénétrante interrogation sur les sources de ce qu’il observe, d’une permanente réflexion sur cet univers certes artistique et technique qu’est la corrida, mais qui, dans son esprit – et il nous le fait partager aisément – prend rang parmi les interrogations culturelles et métaphysiques fondamentales auxquelles l’Homme est confronté. 
 
Sachons lui grâce de cette pertinence et de cette générosité qui nous amène à revenir nous-mêmes sur notre passion de la course de toros, réel univers de créativité.
 
D.J.V.