Camus et l’Espagne…
« Par le sang, l’Espagne est ma deuxième patrie. »
« C’est en Espagne que ma génération a appris que l’on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l’âme et que, parfois, le courage n’obtient pas de récompense. C’est, sans aucun doute, ce qui explique pourquoi tant d’hommes à travers le monde considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie personnelle, la dernière grande cause. »
Dès l’enfance Albert Camus entretient un rapport particulier avec l’Espagne. Sa grand-mère et sa mère sont d’origine majorquine, il ira faire un voyage aux Baléares et ses premières années baignent dans cet univers. Plus tard, il sera attiré par la littérature espagnole, en particulier Cervantes, Tirso de Molina et Lope de Vega.
L’Espagne sera toujours présente dans son esprit, que ce soit dans sa première pièce « Révolte dans les Asturies » en 1936 écrite collectivement mais où on reconnaît bien son empreinte qui raconte la révolution d’octobre 1934 à Oviedo et qui est interdite à Alger par peur d’un mouvement révolutionnaire comme dans la pièce «L’État de siège» qui se déroule à Cadix et dénonce le fonctionnement des régimes totalitaires en démontant le mécanisme de soumission de la peur.
Il sera toujours aux côtés de mouvements anarchistes qu’il soutiendra tout au long de sa vie.
« Amis espagnols, nous sommes en partie du même sang et j’ai envers votre patrie, sa littérature et son peuple, sa tradition, une dette qui ne s’éteindra pas. » («Ce que je dois à l’Espagne», 1958)
Il est présent parmi ceux qu’il considère comme des frères, restant toujours fidèle « à la beauté comme aux humiliés. » et reçut comme un coup au cœur la guerre civile et la victoire du franquisme. Pour lui, le 19 juillet 1936 est la date du début de la Seconde Guerre mondiale et il lutta constamment contre ce régime totalitaire et ceux qui comptaient composer avec lui, dénonçant l’irresponsabilité des Alliés lors du conflit mondial dans un pays où disait-il, « l’honneur avait encore tout son sens« .
Ses liens furent encore resserrés lors de sa longue liaison avec l’actrice espagnole María Casares et il ressentait la séparation avec ce pays où il refusait de se rendre, comme une forme « d’exil ».
Ses éditoriaux combattent là où la liberté est menacée : « Je n’excuserai pas cette peste hideuse à l’Ouest de l’Europe parce qu’elle exerce ses ravages à l’Est, sur de plus grandes étendues ».
Sur l’Espagne, il n’a jamais varié d’un iota, fustigeant le franquisme dénonçant tous ceux qui pactisaient avec ce régime totalitaire, étant constamment aux côtés des espagnols exilés, répondant à leurs sollicitations quand il fallait aider ou prendre la parole et fait campagne dans les colonnes de Solidaridad Obrera pour la libération des espagnols antifascistes séquestrés dans le goulag russe de Karaganda.
La Guerre froide enterra tous les espoirs de déloger Franco et Camus n’aura de cesse toute son existence d’appuyer le combat des libertaires espagnols contre Franco, de dénoncer les lâches complicités de toutes les démocraties et de participer tant qu’il peut aux campagnes organisées par les libertaires espagnols et la FEDIP (fédération espagnole des déportés et internés politiques) contre le régime franquiste et ses horreurs, exécutions, emprisonnements, persécutions….
Il intervient dans les meetings et contacte les intellectuels proches de lui, mais aussi jusqu’à « ses adversaires littéraires » pour défendre la liberté en Espagne et tenter de faire libérer les condamnés du franquisme.
De même, il soutient de toute l’autorité que lui confère sa position d’écrivain engagé, les campagnes de la FEDIP pour la libération des Républicains espagnols détenus dans le goulag de Karaganda en URSS, depuis la fin de la guerre.
Dans ce domaine, pas de compromis et les laxistes ne trouvaient pas grâce à ses yeux. On le trouvait toujours présent dans ses écrits autant que sur le terrain lors des campagnes d’aide – celle de la grève générale de Barcelone par exemple – pour participer à l’action comme dans le cas des militants anarchistes condamnés à mort -, pour la protestation – dans ses discours devant les exilés espagnols ou pour dénoncer l’entrée de l’Espagne à l’Unesco.
« Qui osera me dire que je suis libre quand les plus fiers de mes amis sont encore dans les prisons d’Espagne ? »
Sources : Albert Camus et le Siècle d’or espagnol/Société d’Histoire du Théâtre / Frachet Albert Camus / Albert Camus et l’Espagne.
Datos
Albert Camus, né le 7 novembre 1913 à Mondovi (aujourd’hui Dréan) dans le département de Constantine, en Algérie française et mort dans un accident de voiture le 4 janvier 1960 à Villeblevin (Yonne). Philosophe, écrivain, journaliste militant, romancier, dramaturge, essayiste et nouvelliste français, il reçoit le Prix Nobel de littérature en 1957.
Né sur la côte orientale de l’Algérie, à proximité de Bône (aujourd’hui Annaba), de parents pieds-noirs, Camus passe son enfance dans les quartiers pauvres et populaires. Grâce à son instituteur Louis Germain, il est reçu au Grand Lycée d’Alger et entre par la suite en hypokhâgne à l’Université, où Jean Grenier est son professeur de philosophie. Mais sa santé — dégradée par la tuberculose — ne lui permet pas d’accéder à une carrière universitaire. Après des débuts journalistiques et littéraires et la publication de deux de ses plus grandes œuvres : L’Étranger et Le Mythe de Sisyphe, il s’engage dans la Résistance française lors de l’Occupation, où il devient, fin 1943, rédacteur en chef du journal Combat.
Son œuvre comprend des pièces de théâtre, des romans, des nouvelles, des films, des poèmes et des essais dans lesquels il développe un humanisme sceptique et lucide fondé sur la prise de conscience de l’absurde, de la condition humaine et de la révolte, qui conduit à l’action, à la justice, et qui donne un sens au monde et à l’existence ; l’œuvre de Camus a par conséquent contribué à la montée de la philosophie de l’absurde. Rattaché à l’existentialisme, dans le sens où « l’absurde camusien » est aussi une réponse au nihilisme, l’écrivain a toujours refusé d’être étiqueté à ce courant.
Internationaliste réformiste, moraliste, abolitionniste et proche des courants libertaires, il prend notamment position sur la question de l’indépendance de l’Algérie et ses rapports avec le Parti communiste algérien, qu’il quitte après un court passage de deux ans. Il proteste également contre les inégalités et la misère qui frappent les indigènes d’Afrique du Nord tout comme la caricature du pied-noir exploiteur, tout en prenant la défense des Espagnols exilés antifascistes, des victimes du stalinisme ou encore des objecteurs de conscience. En marge des courants philosophiques, Camus est d’abord « témoin de son temps et ne cesse de lutter contre les idéologies et les abstractions qui détournent de l’humain ». Il est ainsi amené à s’opposer aussi bien au libéralisme qu’à l’existentialisme et au marxisme. Lors de la sortie de L’Homme révolté en 1951, sa critique de la légitimation de la violence et son antisoviétisme lui vaut les anathèmes des intellectuels communistes, ainsi que sa rupture avec Jean-Paul Sartre.
En janvier 1960, victime d’un accident de voiture alors qu’il se rendait à Paris avec Janine, Anne et Michel Gallimard, il meurt sur le coup, à 46 ans, et laisse derrière lui une partie inachevée de son œuvre.
Patrice Quiot