C’est entre tous qu’on l’a élu…

 

 « …C’est entre tous qu’on l’a élu, le massif,

 

la pureté bouclée de vagues de fraîcheur,

 

la bestiale pureté, le taureau d’herbe,

 

familier de l’âpre rosée

 

et la lune l’a désigné dans la manade.

 

Comme on choisit un lent cacique il fut choisi.

 

Le voici, montagneux, essentiel et ses yeux

 

sous la demi-lune des cornes aiguës

 

ne savent pas, ne savent pas si le nouveau silence

 

qui le couvre est un manteau génital de délices

 

ou bien ombre éternelle et bouche de la catastrophe.

 

Mais voici à la fin de lumière

 

qui s’ouvre comme une porte.

 

Il pénètre un éclat plus dur que la douleur,

 

un bruit nouveau comme des sacs de pierre que l’on traîne,

 

dans l’arène infinie aux yeux sacerdotaux

 

un condamné à mort vêtu pour la rencontre

 

de son propre frisson de peur et de turquoise,

 

Un habit d’arc-en-ciel et une pauvre épée.

 

 

Une pauvre petite épée avec son habit,

 

une pauvre petite mort avec son homme,

 

en pleine arène, sous l’orange implacable

 

du soleil, face aux yeux qui ne regardent pas.

 

Dans l’arène, égaré comme qui vient de naître,

 

il prépare sa longue danse, sa géométrie.

 

Et puis comme l’ombre et comme la mer

 

se déchaînent les pas et la colère du taureau

 

(car il le sait, il n’est plus rien, sinon sa force)

 

et le pâle pantin se transforme en raison,

 

sans sa parure d’or l’intelligence cherche

 

comment danser, comment blesser.

 

Il faut qu’il la danse sa mort, le soldat de soie.

 

S’il y échappe on l’invitera au Palais.

 

Levant la coupe, il se souvient de son épée.

 

La nuit de peur brille à nouveau de ses étoiles.

 

La coupe est vide comme l’arène dans la nuit.

 

Et les seigneurs veulent toucher cette agonie… »

 

Pablo Neruda.

 

 «Toros» (Strophes V et VI).

 

(1960).

 

Datos

 

– Pablo Neruda, nom de plume de Ricardo Eliécer Neftalí Reyes-Basoalto, né le 12 juillet 1904 à Parral (région du Maule) et mort le 23 septembre 1973 à Santiago du Chili, est un poète, écrivain, diplomate, homme politique et penseur chilien.

 

Il est considéré comme l’un des quatre grands de la poésie chilienne avec Gabriela Mistral, Pablo de Rokha et Vicente Huidobro et l’un des artistes les plus influents de son siècle.

 

Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1971.

 

À partir de 1935, il est consul en Espagne où il entretient des relations amicales avec Federico García Lorca qu’il avait connu à Buenos Aires et qui aura une influence déterminante sur sa vie et son œuvre, mais aussi avec Rafael Alberti et Jorge Guillén. Après le putsch de Franco du 18 juillet 1936 et l’assassinat de García Lorca, Neruda se fait l’avocat de la République espagnole. Il rédige J’explique certaines choses (sur la guerre d’Espagne) en 1937.

 

Il est révoqué comme consul et publie l’Espagne au cœur (España en el corazón), dans lequel il franchit un pas décisif dans sa démarche.

 

En 1939, mandaté par le président chilien Pedro Aguirre Cerda, il organise le départ de 2400 réfugiés espagnols à bord du cargo Winnipeg.

 

Engagé au Parti communiste du Chili, dont il a été membre du comité central, il a aussi été sénateur et ambassadeur du Chili en France.

 

Mort officiellement d’un cancer douze jours après le coup d’État de 1973, l’hypothèse d’un assassinat est de plus en plus évoquée dans les années 2010 par le gouvernement chilien et des experts.

 

En 1960, Pablo Picasso et Pablo Neruda imaginent ensemble «Toros», un poème de l’écrivain chilien. Traduit par Jean Marcenac et illustré par quinze lavis inédits du peintre, l’ouvrage sort en 1960, à Paris, aux éditions Au vent d’Arles, sous la forme d’un grand in-folio.

 

Patrice Quiot