Goya, cocardier de légende…

 

Quand Goya était prévu à une course, avant que les affiches ne soient imprimées, les réservations étaient complètes. A Beaucaire, en 1974, on a frôlé l’émeute. Une heure avant la course, les portes ont dû être fermées. Des centaines de gens sont restés dehors”…

Henri Laurent.

 

Il nait au printemps 1964 sur les terres du mas des Marquises ; «Vovo» est son aïeul, «Loustic», son père et «Petite Blonde» sa mère.

 

Paul Laurent, son patron, l’identifie aux taureaux peints par Goya et le baptise de ce nom.

 

Il débute en course de nuit aux Saintes-Maries de la Mer en 1968, renverse un spectateur apprenant à cette occasion que l’homme n’est pas invincible. Il prend de l’assurance, s’ancre en piste dès la sortie du toril, épie l’adversaire, anticipe son départ et le poursuit au-delà des barrières.

 

Les touristes sont ravis, les aficionados sur leur réserve, mais il ne laisse pas indifférent.

 

Il poursuit sa carrière ; les hommes en blanc sont prudents, désorientés par son attitude, par la vivacité de ses réponses, par sa hardiesse et son agilité en piste tout en mesurant l’aptitude de l’adversaire à venir à sa tête.

 

Chaque mouvement est perçu ; il cherche l’homme et effraie raseteurs et spectateurs ; son assurance grandit au fur et à mesure des saisons. À son entrée en piste, il inspire la crainte, dégage une puissance et un danger qui se confirme  quand en 1971 au Grau du Roi, il inflige une blessure impressionnante à Max Zaragoza.

 

Le public répond présent à toutes ses sorties et il devient le maître de la piste et de la contre-piste, blessant des spectateurs imprudents qui se trouvent sur son passage et remplit les arènes.

 

1973 : Une année faste ; son nom résonne dans la bouvine. Les courses où il parait font le plein et le corps à corps avec les raseteurs enthousiasme le public tant il peut répondre par sa vivacité, son acuité, sa méchanceté. Difficile de prendre ses attributs, les primes s’envolent, des cocardes rentrent à 2 000 F, 2 500 F ; avec lui, il faut oser ; Daniel Pellegrin s’y essaie à Lunel, mais il le blesse.

 

À Beaucaire, en 1974, les arènes sont archi pleines, on refuse 2 000 personnes.

 

Le nom de Goya fait recette

 

Il impose son style, sa marque et celle de sa manade, inspire peur et respect, courage et action, intelligence et tactique. Il est à nul autre pareil.

 

Il est Goya.

 

En 1975 il se blesse en avril et reste jusqu’en septembre dans les prés. Seul, il refuse toute aide et guérit A son retour, il donne du plaisir à tous.

 

À Arles, dans des arènes combles, Patrick Castro se lance à son devant dans un raset mémorable, un raset d’anthologie, tout en cueillant le deuxième gland sous l’ovation du public : raset promis à Yves Mourousi, raset qui emporte le public dans une liesse de peur et de joie pour la beauté du geste et du moment.

 

1976, voit sa consécration avec Le Bioú d’Or remis à Paul Laurent.

 

Les années se suivent, Patrick Castro son principal adversaire, Émile Dumas, Georges Rado, Frédéric Lopez, Daniel Pellegrin, Jean Jouannet, Patrice Meneghini, Jacky Siméon, Christian Chomel contribueront à s’engager sur son nom. Il ne faut pas qu’ils se laissent distraire car il est prompt à la réponse, les raccompagnant de sa puissance qui se décuple quand il sent la sueur de l’homme qui s’échappe pour arriver le premier à la barrière.

 

L’homme transpire la peur et lui la hume quand elle imprègne ses narines.

 

1981 ; il est temps pour lui de prendre sa retraite et manadier, gardians, amis, le voient monter pour la dernière fois dans le char le conduisant pour sa dernière course à Beaucaire.

 

Patrick Castro l’honore d’un dernier raset et c’est sous les applaudissements nourris et tout en majesté qu’il réintègre le toril, regagne ses prés et malgré le poids des ans, se réadapte à son univers.

 

Les « Amis de Goya » ont l’idée de le statufier de son vivant et l’inauguration a lieu en mai 1984 à l’entrée ouest de Beaucaire. Henri Laurent, le fils de Paul, lui dédie un poème :

 

« Toute la vie on t’a critiqué

Mais autant t’ont adoré.

Je crois que si tu n’avais pas existé

Il aurait fallu t’inventer. »

 

L’hiver de l’année 1986 est rude, il voit sa vie s’étioler, les forces le quittent, le froid s’agrippe à sa peau, la pluie, le vent le fragilisent et le 30 janvier, quand le froid est plus froid, il s’endort pour ne plus me réveiller.

 

Il avait vingt-deux ans et a été enterré au Mas des Marquises.

 

Sources : Bouvine et traditions/ Marie-France Sabatié.

 

Datos  

 

Jacky Simeon retrace l’histoire de ce toro dans «Goya, cocardier de légende» (2024/ Editions Au Diable Vauvert)

 

Né en 1952, Jacky Simeon fut un raseteur torero d’exception, lauréat de la Cocarde d’Or en 1983, il élève la course camarguaise à son apogée, mais se voit contraint de quitter l’arène en 1990, après une grave blessure à l’artère fémorale qui le laisse presque mort. C’est la littérature qui le ressuscitera.

 

Il publie son autobiographie « Une Cocarde d’Or et de Sang », puis un recueil de nouvelles « De l’Eau, des Taureaux et des Hommes » (Actes Sud). Il est également l’auteur de deux romans « Le Cours du destin » et « Magali, deux albums illustrés « Sur la route des taureaux » et «Dictionnaire de la course camarguaise», ainsi qu’une biographie, «Jean Lafont, Roi de Camargue» (Editions Au diable vauvert).