Despedida al estilo de Marie de Rabutin-Chantal…
« Mes bons,
Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : Je suis embarqué dans la vie voilà soixante et seize ans et dans l’afición en voilà près de soixante et il faudra un jour que, comme ce bon Monsieur Ponce est sorti du monde des toros, je sorte de la vie tout court.
Cela m’assomme.
Comment en sortirai-je ? Par où ? Par quelle porte entrebâillée ? Côté «Cheval Blanc» ? Côté «Trois Maures» ? Côté «Lisita» ? Par quel fenestrou entrouvert ? Par quelle porte-fenêtre mal fermée par où passe le chat ? Quand sera-ce ? Verrai-je l’alternative de Valentin, celle de Victor, celle de Clovis ? En quelle disposition ? Aboulique comme Manolete padre ? Hystérique comme Aparicio Jr ou obsessionnel comme Ortega Cano ? En quel lieu ? Dans la suite d’un palace ? Dans une mansarde du « Zahira » ? A Carremeau ou à l’EPAHD de Ste Foix la Grande ?
Souffrirai-je mille douleurs qui me feront rendre l’âme désespéré devant un texte pas encore rédigé ou une anchoïade pas terminée ? Aurai-je un transport au cerveau qui me rendra encore plus con ? Mourrai-je d’un accident vasculaire ou d’un abus de pétun ? Comment serai-je avec Dieu, avec Simon, avec la Divina Pastora et avec mes vieux collègues de 5ème A2 ?
Qu’aurai-je à leur présenter ? La crainte, la nécessité me feront-elles revenir vers eux ? Que puis-je espérer ? Une vuelta al ruedo si JP Crudo est au palco ?
Suis-je digne du paradis ? Suis-je digne de l’enfer ? Suis-je digne de l’affection que certains me portent ? Suis-je digne de manger la gardianne ou la rouille ?
Quelle alternative ! Quel embarras ! Quel bordel ! Rien n’est si fou que de mettre son salut dans l’incertitude, mais rien n’est si naturel.
Je m’abîme dans ces pensées et je trouve la chose si futile et tellement ordinaire que je considère la vie plus pour ce qu’elle m’y mène que pour les roses ou les épines qui s’y rencontrent. Vous me direz, mes bons, que je veux vivre éternellement. Point du tout ; mais si on m’avait demandé mon avis, j’aurais bien aimé à trépasser entre les bras de Monsieur Molière, de Mme Rita Hayworth ou de Monsieur Morante de la Puebla, dans une vigne, un bistrot espagnol ou sous la corne d’un bête irraisonnable et pas par un triste après-midi de novembre, assis à mon bureau en train de rédiger des billevesées et autres tonterías. Cela m’aurait ôté bien des ennuis et m’aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément.
Mais parlons d’autre chose.
Je relis M. Racine avec un plaisir qui m’enlève. Ce qui s’appelle chercher dans le fond du cœur avec une lanterne, c’est ce qu’il fait. Mieux que moi, lorsqu’avec une lampe dont les piles sont usées, je vais chercher une boutanche de pinard à la cave. Il nous découvre ce que nous sentons tous les jours et que nous n’avons pas l’esprit de démêler ou la sincérité d’avouer ; en un mot, j’ai vu mieux toréer mais rarement mieux écrire que ce Monsieur-là.
Sans la consolation de la lecture, la présence de mes chats, celle occasionnelle de ma fille et votre compagnie épistolaire, je mourrai d’ennui. Il pleut sans cesse et il fait froid ; il ne vous en faut pas dire davantage pour représenter ma tristesse… Pensez-vous qu’un peintre comme Claude Viallat ou Jules Milhau saurait bien représenter l’horreur de ces paysages ?
Ma solitude me fait la tête si creuse que je fais affaire de tout ; les courriers et leurs réponses font de l’occupation, mais il y a du temps de reste et les activités ménagères comme la logique des casseroles ou l’observation des merles ou des criquets ne le remplissent pas de félicité. Mais je vous ennuie mes bons ; aussi je m’arrête là.
En effet, pour tout vous confesser je suis un peu à la bourre car, sur l’heure, je vais faire quelques courses nourricières à la boulangerie-épicerie du pueblo dont le patronne ne lit pas M. Platon. Voilà une activité qui, vous l’imaginez, enrichit l’esprit et me comble d’aise. Mais je n’en ai cure car j’espère avant de rendre compte au Dieu Tout Puissant avoir l’occasion de faire la même chose à la panadería de le rue Fresque dont je goûte particulièrement la fougassette.
Un laquais virtuel de «La Poste» en voie de la privatisation vous fera parvenir cette missive. Quand vous la lirez, sachez mes bons, que je vous assure de mon respectueux cariño et de mon indéfectible affection. »
Datos
Marie de Rabutin-Chantal, connue comme la marquise ou, plus simplement, Madame de Sévigné, née le 5 février 1626 à Paris à la paroisse Saint-Paul, et morte le 17 avril 1696 au château de Grignan est une épistolière française.
Les lettres qu’elle écrivit à sa fille, Madame de Grignan, sont devenues un incontournable de la littérature française.
Patrice Quiot