L’Espagne de Victor… (1)
Pendant l’occupation française de l’Espagne, la famille de Victor Hugo s’est installée à Madrid, Calle del Clavel, n° 3. Là se trouvait le Palais de Masserano. Une plaque sur la façade rappelle encore ce fait.
Hugo y vécut 10 mois en 1811 et 1812.
Avec ses frères Abel (1798-1855) et Eugène (1800- 1837), il sera pensionnaire dans une institution religieuse de Madrid, le Real Colegio de San Antonio de Abad, calle Hortaleza, et ses allusions à Madrid sont nombreuses:
« Dans cette Espagne que j’aime,
Au point du jour, au printemps,
Quand je n’existais pas même,
J’avais huit ans » …
… Les soldats buvaient des pintes
Et jouaient au domino
Dans les grandes chambres peintes
Du palais Masserano. »
Ou :
« Madrid a le Manzanares. »
Ou encore :
« Ce Madrid ! Son ciel bleu, son paysage noir,
Le Manzanares, roi des fleuves patriarches,
Roulant trois pouces d’eau sous un pont de trois arches,
Grands chapeaux espagnols, petits pieds, majos et manolas
Et les Españoles et les Españolas ! »
(Fragment d’une comédie – 1840)
Si, à en croire l’ouvrage «Victor Hugo par un témoin de sa vie »*, c’est à Madrid qu’Hugo aurait eu un premier contact avec les réalités de la corrida lors de ses promenades dominicales de son pensionnat, à Madrid, en 1811.
« Les jours de course de taureaux, on y menait quelquefois les collégiens, non dans le cirque, mais sur la place ; leur spectacle était de voir entrer ou sortir le public ; ils se figuraient la représentation d’après les cris et les applaudissements, et Victor observait que « c’est déjà pour nous une chose très curieuse qu’une muraille derrière laquelle il se passe quelque chose ». Parfois ils parvenaient à se glisser dans le passage par où l’on emportait tout ce qui était hors de combat, hommes ou bêtes. Un jour, ils virent un taureau agonisant qu’on venait de coiffer de crochets de fer portant des fusées; on mit le feu à ces fusées qui, en éclatant, arrachèrent et dispersèrent des lambeaux de chair sanglante. La foule hurla de joie. Six mules, à caparaçons éblouissants, chargées de grelots et de banderoles, entraînèrent enfin ce martyr », les détails donnés par le témoin* laissant cependant perplexe.
Les allusions à l’Espagne toute entière sont tout aussi nombreuses :
« Me voici dans le pays où l’on prononce b pour v ». Ainsi écrivait-il son nom, Bittor, avec un b, deux t, suivi de la particule, « Bittor de Hugo », à l’âge de neuf ans, sur la page de garde de son «Tacite».
« Beau pays dont la langue est faite pour ma voix » écrit Victor. Si faite pour sa voix qu’il commença à oublier le français. « Étant enfant, assure-t-il, je parlais mieux espagnol que français ». Ce n’était pas mieux, c’était autre. « Si j’avais grandi et vécu en Espagne, poursuit-il, je serais devenu un poète espagnol, et mes œuvres étant écrites en espagnol dans une langue peu répandue (sic), n’auraient pas eu de portée. C’est par la chute de l’Empereur, et en conséquence de celle de Joseph, que mon père de général espagnol est devenu général français et que moi de futur poète espagnol, je suis devenu poète français ». (Journal d’Adèle H., 1854).
« …. Cadix a les palmiers ; Murcie a les oranges ; Jaén, son palais goth aux tourelles étranges ; Agreda, son couvent bâti par saint-Edmond, Ségovie a l’autel dont on baise les marches, Llers a des tours ; Barcelone au faîte d’une colonne lève un phare sur la mer ; Tudèle garde leur sceptre de fer ; Tolose a des forges sombres ; Alicante aux clochers mêle les minarets ; Compostelle a son saint ; Cordoue aux maisons vieilles a sa mosquée où l’œil se perd dans les merveilles… » (Les Orientales).
« … Fortes villes du Cid ! ô Valence, ô Léon,
Castille, Aragon, mes Espagnes !
Je ne veux traverser vos plaines, vos cités,
Franchir vos ponts d’une arche entre deux monts jetés,
Voir vos palais romains ou maures,
Votre Guadalquivir qui serpente et s’enfuit,
Que dans ces chars dorés qu’emplissent de leur bruit
Les grelots des mules sonores. »
(Feuilles d’automne, 1831)
Sources : Forum Universitaire ; La revue des deux mondes ; JSTOR et autres.
A suivre…
Patrice Quiot