Un lundi de Pâques à Mugron…
Pour Pierre-Albert Blain et Sophie avec mon affection.
C’’est à Grenade sur l’Adour à l’heure entre le premier et le second Angélus que le poème me revint en mémoire.
« Vous souvient-il de l’auberge
Et combien j’y fus galant ?
Vous étiez en piqué blanc :
On eût dit la Sainte Vierge.
Un chemineau navarrais
Nous joua de la guitare.
Ah ! que j’aimais la Navarre,
Et l’amour, et le vin frais.
De l’auberge dans les Landes
Je rêve, – et voudrais revoir
L’hôtesse au sombre mouchoir,
Et la glycine en guirlandes. »
Simplicité du fond, splendeur de la forme ; ce que doit être la vie, ce que doit être le toreo.
Les arènes de Mugron paraissent un chai vigneron à l’austérité presque monacale ; de l’arrière, on découvre l’Adour et ses barthes ; semi elliptique est le ruedo sur lequel s’ouvrent des portes rouges. D’elles, sortent les vaches landaises ; au-dessus, des géraniums et encore au-dessus, ombragée de lierre, une tribune où se tient la musique.
Du tout se dégage une harmonie de plaisir à partager et, en ce lundi de Pâques, nous étions là pour le faire.
Des erales d’« Alma Serena », seule, nous garderons la superbe présentation.
Hadrien Lucq ne s’entendit pas avec le 76, le chorreado sorti en premier ; manso, l’animal se tanqua aux planches au second tiers et se mit à boiter au début du troisième. Avec lui, le local resta inedito ; maladroit il fut avec le capote, se fit accrocher la muleta à droite et ne put à gauche où il bégaya comme un vieux apprenant à lire ; il tua d’une mauvaise demie épée.
Le 65 sortit costaud, manso et se défendit dans le capote de Clovis avant d’aller aux planches ; à la muleta tardo avec une pointe de violence il vint ; Germain sut le tenir à droite et fut technique à gauche ; mature et construite la faena pêcha par excès de longueur ; trasera, l’épée fut engagée et entière.
Manso aussi le 60, le troisième, le plus lourd de l’envoi ; compliqué, il resta en tablas et serra. Clovis le tua mal mais de lui je garderai en mémoire un quite, le souffle de deux naturelles, un trio de derechazos ramenant le 60 au centre comme je retiendrai la géométrie d’une statuaire et les manoletinas du final pour confirmer ce que j’avais observé à Aignan, à savoir que « le Nîmois tiene algo ; un quelque chose qui fait que, un plus que se nota, une manière qu’on remarque, une forme… », le tout me laissant penser que Clovis Germain est un torero à seguir de cerca et même de muy cerca, oserais-je.
Assis sur un banc de bois, je déjeunai d’une gardiane qui du plat n’avait que le nom.
J’ai toujours eu un faible pour les Baltasares, fruit d’une longue histoire commencée au XIXe siècle, lorsque dans les années 1850, Dolores Monge, veuve Murube, croisa du bétail Picavea de Lesaca avec du bétail d’origine Comte de Vistahermosa. 50 ans plus tard, en 1907, Juan Contreras créa son propre élevage en faisant l’acquisition auprès de Tomasa Escribano, également veuve Murube, de 90 vaches et 3 mâles. Juan Conteras n’était ni aficionado, ni ganadero, mais sur les conseils du torero Joselito, il créa un toro de combat pétri de caste et de bravoure, à la tête confortable et au caractère noble. Pour des raisons non encore élucidées, Contreras vendit son élevage en 1920, après la mort de Joselito, à des éleveurs salmantins. En 1957, il fut racheté par Baltasar Ibán, un self-made-man parti de rien, mais qui transformait en or tout ce qu’il touchait. Orphelin de père à 14 ans, avec cinq jeunes frères à charge, il multiplia les petits boulots avant de travailler dans un garage de vélos, puis de camions avant d’acheter le garage et enfin de faire une fortune colossale. Lorsqu’il mourut en 1976 d’une crise cardiaque, il possédait de nombreuses affaires, dont plusieurs garages, des sociétés de ventes de voitures, une flotte de camions, deux des plus grands palaces de Madrid, le Wellington et le Claridge, le Ranch Wellington de Marbella et deux élevages de renom. Tout comme Contreras, il n’appartenait ni au monde taurin, ni à celui des éleveurs, mais il sut s’entourer de collaborateurs compétents. Balta, comme on l’appelait dans le mundillo, ne se borna pas à acheter terres et toros… Il devint un authentique éleveur et même l’un des meilleurs. Ses toros, les seuls à être marqués sur le flanc gauche selon une tradition inaugurée par Contreras, furent souvent primés à Madrid et dans de nombreuses arènes d’Espagne et de France. Le 2 mai 1969, l’élevage était à son apogée quand Camino et Litri coupèrent 5 oreilles à Madrid. Puis arriva le toro commercial et la mode du gigantisme. La critique trouvait les Baltasar Ibán trop petits et peu armés. On jugea aussi leur caste insolente, certains écrivirent même que les gènes de Lesaca étaient de retour. Très réactif face à l’adversité, Balta acheta du bétail de sang J. P. Domecq, créa un nouveau fer “Los Guateles” et commença à faire des croisements avec ses vaches de sang Contreras. Les résultats furent des plus positifs. Les Contreras y gagnèrent en format et en armures, mais aussi en noblesse lors du troisième tiers. À sa mort en 1976 d’un infarctus, tous ses biens passèrent aux mains des Jésuites et de l’Université Pontificale de Comillas régentée par la Compagnie de Jésus, à l’exception des élevages de toros qui restèrent dans la famille. Aujourd’hui c’est une petite-nièce, Cristina Moratiel Llarena, qui préside aux destinées de la ganadería Baltasar Ibán et de son encaste aidée par son mayoral Domingo González. Le 2e fer Los Guateles revint au bras droit de Baltasar, Antonio Carnerero. Récemment, cette finca qui avait été achetée par Litri fils a été revendue pour 11 millions d’euros à un Mexicain richissime.
C’est la suite de cette belle histoire que je m’attendais à voir ; ce ne fut pas tout à fait le cas.
« Bien présentés, les novillos de Baltasar Ibán ont eu des comportements variés au cheval. Le plus spectaculaire a été le quatrième, toro avec plus de poder que de bravoure, mais qui a poussé au contact du peto. Beaucoup de genio chez le premier, trop de faiblesse chez le second, de la complexité chez les troisième et cinquième, de la noblesse chez le quatrième et une bonne corne droite chez le dernier. Globalement aucun toro complet, mais tous avec un petit quelque chose qui pouvait rendre les faenas intéressantes…. Julio Mendez est sorti a hombros à l’issue de la novillada de Mugron. Emiliano Osornio a donné envie de le revoir alors qu’El Mene a été décevant. Aucun des novillos de Baltasar Ibán n’a été complet, mais tous par leur présentation et leur comportement ont contribué à donner de l’intérêt à cette novillada.» écrira Thierry Reboul.
Personnellement je ne me rappelle d’aucune passe du mexicain, d’aucune de l’Extremeño et encore moins de celui de Zaragoza.
Nous en resterons là.
Le soir, en rentrant à Poyanne où je descendais, je traversai Laurède, village de 310 habitants. Sur une place à la sortie du pueblo, une statue toute simple représente Henri Emmanuelli (1945/2017), figura landaise de la politique. Assis sur un banc, le dos au cimetière, le bras droit appuyé sur le dossier, tranquille, serein, «Ricou» comme on l’appelle encore ici regarde vers le Sud, vers les Pyrénées où il est né, là où son grand père était berger…
J’ai aimé ce dernier detalle d’un lundi de Pâques à Mugron.
Datos
Mugron.
21/04/2025
Matinal :
Non piquée de Pâques.
Erales de’Alma Serena.
Vainqueur de la sélection, Clovis Germain lidia le troisième.
Hadrien Lucq : Silence
Clovis Germain : Oreille ; silence.
Le prix des organisateurs du Sud-ouest a été partagé entre les deux toreros.
Vespertina :
Novillos de Baltasar Ibán.
Emiliano Orsonio : silence, oreille.
El Mene : silence, silence.
Julio Mendez : oreille, oreille.
Vuelta au quatrième novillo.
Julio Mendez reçut le trophée mis en jeu par la Peña organisatrice.
Deux tiers d’arène
Patrice Quiot