Bougue : Ma voisine de tendido… (2)

 

C’est en l’excellente compagnie d’Alain Bonijol que je suivis la finale ; il me présenta une gamine qui accompagnait sa cuadra de caballos ; passionnée de chevaux et de toros, la petite avait acheté sur Internet des chaussettes sur lesquelles figurait le portrait du «Rafi».

Les deux erales du Camino de Santiago sortirent mermados ; s’étant abimés dans le camion, le premier vint avec corne cassée, le second avec les deux.

J’imagine que c’était la première fois que ma voisine de tendido voyait la hideur de cette mutilation et que, même si elle le cacha, je suis presque certain que son cœur d’enfant s’en émut.

 « Saigne, saigne, mon cœur… saigne ! je veux sourire.

Ton sang teindra ma lèvre et je cacherai mieux

Dans sa couleur de pourpre et dans ses plis joyeux

La torture qui me déchire. »

Le noir de Gutiérrez alla juste de forces et les véroniques genoux en terre de l’impétrant comme le quite par tafalleras de Germain ou la réplique en véroniques de Gutiérrez, significatifs de la racha des deux collègues résultèrent peu adaptés à la pathologie de l’animal.

 Le superflu, chose très nécessaire” écrivait pourtant Voltaire.

David brinda à Clovis ; ils avaient torée ensemble la veille à VilLaseca de la Sagra et David y avait remporté l’Alfarero de Plata.

«Le principal ennemi de l’amitié est l’ambition» écrivait Philippe Soupault.

Faible, l’eral alla por dentro, colla et tomba; la technique rompue de Gutiérrez lui permit d’en donner quelques-unes que certains qualifieraient de qualité, mais dont personnellement – c’est probablement la sanction de l’âge – je ne gardai aucun souvenir.

Il tua d’une entière un peu basse mais terriblement efficace et comme dit prosaïquement l’oxymore taurin, il écouta le silence.

Un silence dans lequel j’entendis l’essentiel et dont je suis certain que ma voisine de tendido connaissait la force.

 

Germain reçut le noir aux deux cornes cassées à porta gayola, s’étira en véroniques domina l’échange de quites, posa les banderilles un peu comme il l’avait fait lors de la première mi-temps et brinda la faena au public.

Début par doblones genoux fléchis, façon Julián López.

Cite de loin façon Julio César Rincón Ramírez à droite.

Et de près, sur la sénestre, façon Fernando Cepeda Melo.

Suave et relâché va le nimeño.

Poignet de fer, ceinture de soie.

Mando d’une muleta pas accrochée.

De cortijo, immense de classe l’eral.

Toca la musica.

Fin au centre en luxe d’abandon.

Epée hasta la bola, fulminante.

 

Deux oreilles.

Et mouchoir bleu.

Sortie a hombros.

Et gente de pie.

 

C’est à ce moment-là que, va savoir pourquoi, j’imaginais que ma voisine de barrera sortirait de sa quiétude et, ainsi que le fit un jour Pastora Pavón «La Niña de los Peines», qu’elle se lèverait et chanterait «pliée en deux comme une pleureuse médiévale… sans voix, sans souffle, sans nuances, la gorge en flammes… un flot de sang , digne, par sa douleur et sa sincérité de s’écarter comme une main à dix doigts sur les pieds cloués mais pleins de tourmente d’un Christ de Juan de Juni». (Federico Garcia Lorca ; Extrait de « Jeu et théorie du Duende »).

Bien évidemment elle ne le fit pas mais, comme j’espère qu’un jour prochain Clovis écrira le grand toreo, j’espère qu’un jour ma voisine de barrera aura elle aussi quelque chose de grand à dire.

Datos 

Dimanche 4 /05/2025

Arènes de Bougue.

Phases finales du Bolsin 2025.

 

5 erales du Camino de Santiago.

Vuelta al ruedo du second et du cinquième.

 

 

Aparicio Romero : silence.

David Gutiérrez : oreille, silence

Clovis Germain : oreille, deux oreilles.

 

Clovis Germain remporte le Bolsin de Bougue 2025.

 

Patrice Quiot