Souvenirs, souvenirs…
Le premier :
Un samedi matin devant «Le Cheval Blanc», Dario Moreno en costume de satin rose et au volant d’une «Cadillac» décapotable blanche promenait, fines moustaches au vent, son élégance calamistrée.
L’après-midi aux arènes, il applaudissait en se pâmant de bonheur la grâce torera de Paco Camino, jeune matador de toros au cartel avec Aparicio et Ostos et des toros d’Urquijo.
Le même jour, après la course, à la terrasse de «La Grande Bourse» mon père me montra quelqu’un : Barbu comme un faune, hilare derrière ses lunettes vertes fumées, Ernest Hemingway donnait de terrifiantes bourrades à Don Cristóbal Becerra.
Après avoir longtemps managé Carlos Arruza, le vieux dandy ibère apodérait avec une passion égale Diego Puerta et «Los Bomberos toreros».
En chapeau noir à bords roulés, costume croisé rayé, œillet rouge à la boutonnière et chaussures bicolores noires et blanches, on l’aurait dit sorti tout droit d’une bande dessinée.
Je n’avais que dix ans et demi, mais en ce jour lumineux de Féria et pour la première fois de ma vie, je rentrais dans le mythe.
Le second :
Ce fut à Valencia que je rencontrais le «Diamante Rubio ».
Ecarlate comme la balise de bâbord du phare de l’Espiguette, roux comme une laitière de Jersey et ventre d’un distillateur du pays cauchois por delante, seule la casquette blanche donnait au personnage une touche méditerranéenne de retraité en vadrouille sur la Croisette.
A Tournai, il aurait été saxophoniste, à Munich, gargotier, aux îles Trinidad et Tobago, marchand d’esclaves. Dans toute la péninsule, il était simplement «Le Diamante», claqueur appointé de toreros. Son fonctionnement professionnel était d’une simplicité biblique : on lui donnait des sous et il applaudissait.
Alors, incantatoire, foisonnant, redondant, lyrique, pleurnichard, le «Diamante» commentait, interpellait, s’indignait, prenait sa vraie mesure. Lançant l’opprobre et l’anathème comme les papes vendaient des indulgences, les yeux fulminants à travers ses lunettes sans verres, sa badine de bambou fouettant l’air, il illuminait l’arène de sa faconde. Anticipant la critique, il l’annihilait, la réduisait en cendres pour ensuite valider de l’approbation populaire la faena de son mentor. Alors seulement il s’asseyait.
Populiste, son assurance ne supportait nulle contestation ; outrancière, son autorité en mauvaise foi fait référence. Orson Welles de la barrera, Falstaff du tendido, Grand Zampano de l’andanada, le Diamante avait quelque chose de l’orateur antique et du muezzin oriental. Bateleur du langage, c’était un australopithèque de la déraison ; enfant secret de Berthe Sylva et de Gaston Ouvrard, il avait en outre, l’élégance exquise d’un charcutier en gros dans les salons de la duchesse d’Uzès.
Nous avions sympathisé et puis d’un coup, il m’avait demandé si, ce jour-là, il m’intéresserait de m’associer avec lui pour faire la claque à Paco Senda, torero modeste de chez modeste qui, j’imagine, lui avait probablement donné quelques sous pour que le «Diamante» fasse son office.
J’avais bien évidemment accepté à titre gracieux cette proposition singulière, mais malgré tous nos efforts conjoints le Paco Senda n’avait récolté qu’une bronca à son premier et, autant que je m’en souvienne, avait vu son second rentrer vivant.
Le «Diamante» affirma à tout le monde que ma guibole, métaphore du diable, lui avait porté malheur !
Le troisième :
Je ne peux que m’en souvenir. C’était le 25 septembre, le jour de mon anniversaire, à «L’Imperator » à l’apéro de 13 heures.
Grand salon, superbe terrasse, somptueux jardin, serveurs en tenue blanche et nœud papillon avec serviette sur le bras droit, serveuses en jupe noire et chemisier blanc.
Des señoritos gominés en jeans et chemisette à 1500 balles, des bimbos aux grosses lèvres et gros nichons, des intellos bavards, quelques homos, des artistes de cinoche et des socialistes barbus, une exposition de peinture taurine, le tout dans une odeur de savonnette et d’eau de toilette. Champagne et petits fours. Fumée de cigare et babil mondain.
Dans un coin du hall, face au vieil ascenseur à cage métallique, j’observais ce bruissement doux où rien ne trouble un ordre public bien établi.
Soudain, l’ascenseur ne descendit plus à son rythme de poulies et contrepoids. Immobiles devant moi, deux jambes de jeans blanc. Pas de martèlement intempestif, pas de sonnerie d’alarme. Rien.
Au bout de dix minutes, je m’approchais et m’inquiétais de savoir qui était dedans. Pas de réponse. J’informais le réceptionniste qui, après un très long moment, arriva à débloquer la cage.
Livide et sans rien dire, en sortit le « Yiyo ».
Un zombie.
L’après-midi il toréait la corrida de Jandilla avec Ojeda y un tercero cuyo nombre no me acuerdo.
Datos
Souvenirs, Souvenirs, adaptation française par Fernand Bonifay du titre Souvenirs de Cy Coben, est une chanson interprétée par Johnny Hallyday et Rita Cadillac en 1960.
Titre phare du deuxième disque de Johnny Hallyday, «Souvenirs, souvenirs» est son premier grand succès.
Patrice Quiot