Le regreso du canon…

 

Je crois que je vous l’avais déjà raconté.

La première fois que je vis le canon fut en septembre 2020, le 8 exactement.

Un an avant la mort d’Élisabeth II, reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne, d’Irlande du Nord et des autres royaumes du Commonwealth.

Quand le Covid imposait son ordre annulant la feria d’Albacete et limitant celle des Vendanges à une jauge d’asientos.

 

J’allais au tabac du pueblo chercher la dose quotidienne de la chose qui, un jour, me tuera.

Et c’est en manœuvrant que je vis le canon qui faisait du jogging.

A peu près trente herbes, grande, blonde, les pommettes hautes, les jambes fines, les épaules droites, pecho por delante.

Le canon était habillé de blanc.

Une allure d’acrobate de Minos au-dessus d’un taureau ailé.

 

Peau fine et légèrement hâlée.

Le canon courait.

Pas de tatouages ou de piercing, aucune de ces vulgarités.

Pas de casque, pas de mesureur de tension et de rythme cardiaque sur le bras, aucun de ces brimborions thérapeutiques.

Epurée comme un remate de Talavante.

 

Elle était presque nue.

Une boucle d’oreille en or l’habillait.

Un adorno de cartel ; une splendeur.

Una estampa ; un encanto.

Un frisson.

 

A la rue Marylin ; à la rue Rita ; à la rue Ava ; à la rue Liz ; à la rue Brigitte.

Elle, comme une figure de la porte du Pardon de la cathédrale de Séville.

Et, ce qui était admirable avec le canon, c’est qu’en plus de sa grâce, elle avait l’air méchant.

Regard glacial et moue dédaigneuse, elle observait le monde d’un aristocratique dédain.

Arrogante comme Luis Miguel.

 

Le soleil du matin illuminait sa course solitaire.

A voir une chose si belle, on vient à se demander si Dieu n’existe pas.

Et à essayer de lier pour elle, au pied du Golgotha, le capote de paseo des mots.

Le canon disparut après le virage qui conduit au cimetière.

J’aurais aimé que ce fut celui de San Fernando ou de La Alameda.

 

C’était en septembre 2020.

Le 8 exactement que je vis pour la première fois le canon.

Une troublante poésie en mouvement.

Et ce matin de début d’été 2025, je revis.

La même.

 

Sauf qu’elle portait un tee-shirt figurant le profil du cigarrero.

Légendé de «Cerrado, hoy torea Morante».

Somptueuse, solaire, éternelle.

Elle était.

Comme le toreo…

 

Patrice Quiot