Regain…

« Il faudra que je parle de celui-là qui était tout seul au fond du plateau et puis qui a acheté une femme avec les soixante francs d’un âne et qui, de ça, a fait revivre toute sa terre, et qu’une herbe nouvelle a poussé et qu’on a pu faucher le regain. »

Jean Giono.

 

Même si le présent m’anime.

Le passé.

Est mon futur.

 

Mon clavier.

Mon lutrin.

Mon écritoire.

 

Mais mes souvenirs s’épuisent.

Les anecdotes s’assèchent.

Le matériau devient plus rare.

 

Comme un vieil olivier.

Que ses racines.

N’arrivent plus à nourrir.

 

La camada.

De ma mémoire.

Se fane dans l’aigre de l’automne de l’âge.

 

Alors, j’élude.

Je prends des biais

Je claudique.

 

M’appuyant.

Sur la canne.

Des autres.

 

Mais l’appel.

A ces emprunts comme sobresalientes.

Me gêne.

 

Si je le fais.

C’est.

Par défaut.

 

Et chaque fois.

La chose.

Me avergüenza.

 

Ce tarissement des sources pourrait m’inquiéter.

Mais le vieux fatum latin ou la belle suerte ibère.

Font que ce n’est nullement le cas.

 

Car.

Par la magie.

De lutins en lumières.

 

Soudaine.

Imprévue.

Au détour d’un chemin.

 

L’inspiration.

Jaillit.

Du toril de l’oubli.

 

Une branche au sol.

Me fait penser.

A un alangui de muleta.

 

Une aile.

De papillon.

A un envol de capote.

 

Un feu clignotant de chantier.

Au clin d’œil.

De Carmen à Escamillo.

 

Le sourire d’une fille.

A l’enfièvrement

D’une porta gayola.

 

Une tontería.

De troquet.

A une autre de toros.

 

Une belle page.

D’un livre.

A une Puerta Grande.

 

Un oiseau.

Qui sautille.

A Fulano.

 

Une phrase.

Qui a du sens.

A Mengano.

 

J’ande.

Avec le quotidien

Des choses.

 

Je l’observe.

Avec l’acuité des yeux.

Du sorteo.

 

Et l’imagine.

Dans le ruedo.

De la phrase.

 

Alors, je le toque.

De loin.

Ou de près.

 

Et il s’arranque.

Porteur.

Des cornes de l’écriture.

 

Ainsi.

Quand sonne.

L’heure à la pendule du texte.

 

Je torée le vent.

Je torée la pluie.

Je torée les fleurs.

 

Ainsi.

Se créent.

Mes histoires.

 

Ainsi.

Vont.

Les choses.

 

Ainsi.

Voy.

Yo.

 

Car écrire de toros.

M’est indispensable.

Imprescindible.

 

J’y puise.

L’énergie.De ma pelea avec le monde.

 

 

 

J’y bois.

L’eau fraiche du botijo.

Qui me désaltère.

 

J’y retrouve.

Le plaisir.

De faenas anciennes.

 

 

Je m’essaye à y donner.

Les vibrations.

De l’estocade de la vie qui passe.

 

Nostalgie de barbon.

Sentimentalisme d’un autre âge.

Propos de ringard.

 

Sin duda, mais.

Ainsi.

Je vais.

 

Y con su permiso.

Seguiré.

Yendo.

 

Ne serait-ce.

Que pour me prémunir.

De l’étiolement d’un monde que j’aime.

 

Datos

 

Regain est un roman de Jean Giono (1875-1970), paru en 1930 aux éditions Grasset.

 

Au village d’Aubignane, il ne reste que trois habitants : le vieux Gaubert, la vieille «Mamèche» et Panturle, un homme dans la force de l’âge. Le jour où Gaubert part vivre chez son fils, Panturle se retrouve seul avec la Mamèche. Il souffre de cette solitude. Le jour même, la Mamèche lui dit qu’elle va lui amener une femme. Puis elle disparaît…

 

Panturle est désormais le seul habitant du village ; il vit essentiellement de la chasse. Un soir, devant chez lui s’arrête un homme accompagné d’une jeune femme. Ils frappent à la porte, il n’ouvre pas. Lorsqu’ils s’éloignent, il les suit dans la nuit. En les filant, il manque de se noyer en tombant dans un gros ruisseau. Ils le sauvent, et le traînent sur la berge, inconscient mais sauf. Lorsqu’il reprend conscience, la femme est près de lui. Ils parlent longuement, puis « elle se renverse dans ce bras […] et se couche dans l’herbe ».

 

Au matin, Panturle dit « Viens, on va à la maison ». Elle s’appelle Arsule, elle le suit. Ils vivent ensemble, Panturle devient cultivateur. Une foi nouvelle l’anime. Arsule est maintenant la femme dans le logis de l’homme, qui n’est plus solitaire. L’amour est là, sans déclarations, tranquille et solide…

Patrice Quiot