La consulta du docteur Sigmund… (2)
Le quatrième compère se nommait Luis Miguel González Lucas.
Il était grand, beau, élégant. Sans fard, mais avec une certaine prétention, il évoqua ses conquêtes féminines : Rita, Ava, Lauren, María, Romy…
Sans fard non plus, il nous raconta comment pour payer la pension de leur hôtel à Medellín, ses aînés Domingo et Pepe avaient vendu son pucelage à une anglaise. Ce n’est cependant pas ces détails insignifiants qui l’avaient incité à consulter l’Eminent.
L’objet de sa visite remontait au souvenir de ce 17 mai 1949 quand à Madrid, levant l’index après avoir coupé deux oreilles à un toro d’Antonio Pérez, il s’était proclamé «numero uno». Sa culpabilité par rapport à son rival Manolete tué 629 jours plus tôt travaillait ses rêves comme un péché loin d’être véniel et comme ses copains Francisco Franco et Pablo Picasso n’avaient pas été en mesure de lui expliquer le pourquoi de la chose. Il était venu consulter à Bezouce.
Bien qu’il demeurât très circonspect en la matière, je crus comprendre qu’il logeait chez une copine qui lui voulait grand bien et qui habitait Saint-Gervasy.
Le cinquième s’appelait Francisco Manuel Ojeda González.
C’était un taiseux de la marisma qui faisait précéder chacune de ses rares phrases d’un «Tup ! Tup !» quelque peu étrange et qui pratiqua son activité professionnelle de façon cyclonique et rotatoire sans se poser trop de questions dans la mesure où pour lui, c’était la seule façon de faire jusqu’au jour où il s’interrogea sur la récurrence de cette récidive circulaire et sur le pourquoi de la chose.
Aussi, quand au téléphone le docteur Sigmund commença à lui parler de «wiederholung», de «répétition comme échec de la symbolisation», d’un enfant qui jetait des objets «poursuivant une bobine en disant : Oooo », quand le même évoqua les notions de de «souffrance, de compulsion, de pulsion de destruction», le Sanluqueño comprit qu’il fallait qu’il fasse fissa pour venir de toute urgence à Bezouce où il attendait son tour en sifflotant : «Las flores de la marisma que crecen en los caminos y es que ya llegó la primavera del Simpecao…» avant de repartir à cheval vers sa maison au pays de la saladina, de l’almajo dulce et des lynx.
Rustique et se satisfaisant de peu, il dormait dans l’écurie d’une cuadra de caballos à Franquevaux.
Le sixième s’appelait Alfonso Enrique Ponce Martínez.
Quelques cheveux manquaient à son frontal et il venait d’une région où le riz enchante les palais. Il aurait pu s’en satisfaire pour sa retraite s’il n’avait pas été travaillé par le doute quant à l’opportunité d’avoir gracié cinquante et un toros.
La chose lui semblait maintenant incompatible avec le métier qu’il avait exercé et dont le nom seul affirmait la légitimité du contraire de ce qu’il avait fait cinquante et une fois.
Adepte du «retour aux choses mêmes» cher à Edmund Husserl, Enrique m’avoua que ces cinquante et un indultos lui paraissaient aujourd’hui quelque chose d’anti naturel et ça l’inquiétait à un point tel qu’il envisageait de faire sa réapparition afin de ne plus commettre de telles méprises. Il s’en était ouvert à ses oliviers, ainsi qu’à Ana.
Les premiers n’avaient pas compris la question et la seconde encore moins.
C’est pour évoquer ce dilemme phénoménologique qu’il était venu à Bezouce prendre conseil auprès de l’Eminent et c’est dans l’hypothèse d’une nouvelle temporada qu’il avait ressorti le coche de cuadrillas du garage.
Lui et Ana y dormaient dedans en face de l’église St André.
Il était huit heures du soir et mon tour allait venir quand je pensai que, par rapport à ce que les six collègues avaient pu raconter à L’Eminent, ce que j’avais à lui dire risquait fort de lui paraître aussi futile que ce que dit Bernard Henri Levy.
Alors, furtif comme le chacal de l’Atlas et couard comme le lièvre du «Roman de Renart », je quittai la consulta du docteur Sigmund.F au 1842 Miurastrasse à Bezouce me disant qu’en fin de compte et en ce qui me concernait, la meilleure des thérapies serait de continuer de raconter des histoires…
Patrice Quiot