René, le mozo… (1)

 

Il est certain que lorsqu’on la chance d’être né à Bourgoin-Jallieu (38300), qu’on se délecte de Suze-cassis, qu’on affectionne le port du catogan et du chapeau, qu’on a une frangine qui a choisi d’embrasser la religion musulmane et qu’on porte les cheveux longs et frisés, on a a priori toutes les chances de devenir le valet d’épée d’un torero dont les origines sont plus proches de l’Empire du Milieu que de Bezouce.

Ce que fit 2R et il le fit magnifiquement bien.

C’est vrai qu’outre ce qui a été dit supra, 2R avait des qualités qui le prédestinaient au job.

D’abord, il savait excellemment bien conduire. Quelle que soit la bagnole qu’il avait entre les mains, 2R la menait impeccable : aucune hésitation sur la trajectoire, pas la moindre secousse qui eut pu perturber le repos du torero et une souplesse d’adoucissant textile ; une attention permanente au ronronnement du bourrin, une vigilance minutieuse aux éventuels extraños de ceux qui le précédaient ou qui venaient en face ; tout ça à une allure qui faisait qu’en pleine nuit de quinze août, on se tapait un Nîmes-Bayonne dans un timing d’horloger suisse et qu’on arrivait à l’hôtel «Amatcho» plus frais qu’un gardon du Vidourle.

Même si ce fait probant attentait à sa fierté, Serge Navel «Le Rubio», qui pourtant en terme de conduite en connait un rayon, en convenait.

Une seule fois la vigilance de 2R fut mise à mal : ce fut le 25 juin 1989, à St Sever (40500), le jour de l’alternative de SF. Meca.

Je vous raconte : Le matin, 2R décide de faire laver le coche qui lui semblait pourave et dans l’état duquel il ne pouvait pas imaginer aller à la cérémonie. Donc : station-service, voiture bien calée dans le sabot, rétroviseurs et antenne de toit repliés, todo perfecto ; 2R descend de la voiture quand, pffff, il dérape grave sur une plaque de cambouis en lâchant les clés de contact qui, naturellement, glissent dans les rainures guidant la trajectoire du monstre laveur qui venait de se mettre en marche. Gros susto.

Ensuqué et le souffle coupé par la chute, le pauvre 2R ne pouvait que murmurer des borborygmes en ma direction en pointant du doigt le trousseau qui risquait de se faire écrabouiller avec toutes les emmerdes afférentes à la chose. Par chance, je vins au quite aussi rapidement que me le permit ma guibole évitant ainsi une catastrophe qui, telle una cornada de espejo, reste à tout jamais gravée dans sa mémoire.

Je vous précise qu’à St Sever encore, mais en 1972, le 25 juin, le 2R il s’était fait casser le nez par les gros bras de Capdeville après que les toreros français aient sauté en piste au toro de «El Mito» et qu’il en porte toujours le stigmate.

Vous me direz qu’aux «Marquises» il en avait pris une autre de grosse branlée le 2R, le jour où avec quelques français ils avaient voulu donner des passes à une vache. Mais comme Henri, le pelot, ne voulait pas, le ton était monté et comme d’habitude les gardians c’est costaud … badaboum, il avait morflé le 2R.

Une autre qualité de 2R était sa méticulosité. Que ce soit quand il arrimait sur le toit de la fourgonnette les valises des marocains que, contre quelques sous, il descendait dans leurs pueblos respectifs, que ce soit quand il pliait les câbles du matos de «Télé Bleue», que ce soit dans le développement des photos qu’il faisait, dans le choix des cadrages d’images ou dans le prise de son, que ce soit lorsqu’à ma maison de la rue Baudin il peignait un mur sans faire tomber une goutte au sol ou qu’il montait des placards sans faire de bruit pendant que je faisais la sieste, on comprenait vite que le bordel il n’aimait pas trop ça.

Mais cette minutie prenait une véritable dimension artistique dans sa fonction de valet d’épée car avec le «Chino», il convenait de ne pas être autre chose que soigneux : costume impeccable récuré à la brosse à dent, camisa repassée mieux que celle des légionnaires, zapatillas brillantes comme les pompes d’un colonel de la Garde Républicaine, calcetines sans un seul pli, corbatín mieux ajustée que celle d’un présentateur du JT, esportón organisé comme un défilé de l’Armée Rouge à l’époque de la glorieuse URSS, espadas aiguisées juste ce qu’il fallait, gestion des cuadrillas et service des sueldos nickel chrome, distribution des callejones sans une seule faute d’affectation.

Tout était au top.

Je ne me souviens pas d’une seule fois où le 2R ait été pris en défaut et je me souviens encore moins d’une remarque désobligeante faite par le torero. Si tel avait été le cas, je crois que de la même façon qu’un maitre d’hôtel anglais aurait rendu son tablier après une bévue dans le service du porridge ou de la même façon qu’un peluquero andalou se serait fait hara-kiri après avoir foiré la coupe de cheveux de la duchesse d’Albe, 2R aurait immédiatement restitué à l’autorité compétente le «carnet» professionnel que seuls en France et à l’époque lui et Hervé Balley détenaient.

Pour dire à quel point il était excellent dans ce job le Rabilloud, Moreno Pidal, figura portugaise du toreo à cheval, voulait le prendre à son service, ce que René refusa pour des raisons qui n’étaient pas exclusivement professionnelles…

A suivre…

Patrice Quiot