Saint-Avold, octobre 2011: Le faenón de la voisine d’en face…

 

Réglée comme le toreo d’Ortega Cano, précise comme la montre des avis, prévisible comme une chronique d’«Artillero» et avec un visage qui rappelait singulièrement celui de Manuel Ruiz Regalo «Manili», la voisine d’en face déjeunait à midi pile, dînait à 19h15 et fermait les volets à 20h.

Elle vivait là depuis 22 ans, ne travaillait pas, était abonnée à «Nous Deux», ainsi qu’aux promos de «Leader Price», était mariée avec M. Blaireau et avait quelques années de plus que Cristina Sánchez de Pablos, mariée elle avec M. Da Silva.

La voisine d’en face passait ses vacances chez la cousine de Marienthal, la gamine allait à l’école chez les sœurs de Ste Chrétienne et le papa devait voter du mauvais côté.

Une famille quelque peu différente de celle des Gómez Ortega de Gelves ou des Soto Moreno de Jerez de la Frontera et qui ne devait pas faire son ordinaire d’espinacas con garbanzos et d’huevos a la flamenca.

Une analyse trop rapide de cette sociologie ménagère pourrait amener à des conclusions assez logiques, mais cependant trompeuses car la voisine d’en face était étonnante. Elle, son truc monomaniaque, son goût exclusif, sa joie de vivre, son bonheur secret, son grand-œuvre, son Pernod du dimanche, son afición, c’était la lessive et figura máxima de la colada, elle était une «Pajualera» du blanchissage, une Juanita Cruz du lavoir, une Conchi Ríos de la buanderie.

Aprovechando el viaje, elle tirait profit des moindres bienfaits de la température pour satisfaire son gusanillo avant que les frimas hivernaux venant du pays des ours sibériens la condamnent au sin categoría de l’étendage indoor.

 Alors, dès que le mercure dépassait les 4° centigrades et qu’un maigre rayon de soleil réchauffait les pieds de rhubarbe, le pommier rabougri ou l’herbe du jardin tondue ras et finie au ciseau, hop-la, Maman s’arrimait à lessiver et à étendre sur l’étendoir gris dont elle essuyait méticuleusement les fils avant chaque utilisation.

Stakhanoviste d’«Omo», activiste de «Vedette», Enrique Ponce de la pince à linge, Manzanares de l’assouplissant, Curro Romero du détergent, la voisine d’en face lavait et étendait tout :

 

Des draps rayés, des torchons à carreaux, des serviettes de table en coton, des sorties de bain en bouclette, des chemises en pilou à manches longues, des chemises en flanelle à manches courtes, des tee-shirts sans manches, des polos avec dessus la tronche de Donald, les pantalons et les marcels de Papa, les baskets de fifille, le nounours en peluche de la même, le sac dans lequel elle rangeait le pain, les sacs en plastique du «Cora» de Longeville , les sacs de congélation  du «Thiriet» de  Creutzwald, une manique grise en titane, deux maniques en coton rose, les gants de toilettes de la liste de mariage, les éponges de cuisine et la couverture en celluloïd qui protège le barbecue que Pépère a fabriqué avec des matériaux de récup de la mine et dont il a la charge exclusive.

Domingo Ortega de l’hygiénisme domestique, elle décimait la camada du panier de linge sale.

Je me souviens avec une émotion toute particulière d’un de ses plus grands triomphes ce jour d’octobre 2011 où elle avait donné trois faenas lavandières de légende: La première à 9h12 ; la seconde à 12h46 et, à 17h22, elle finissait de rentrer la troisième dans une grande banaste jaune en prenant bien soin de quitter ses zapatillas en plastique rose et d’en essuyer les semelles avec un chiffon accroché à un clou au coin de la terrasse avant de rentrer préparer le frichti du soir.

Enorme ce jour-là elle fut :

L’entrega de «Paquirri» dans son positionnement avec la corde à linge, le sens des terrains de Luis-Miguel pour la meilleure exposition des caleçons aux rayons de Phébus, la méticulosité du Viti pour accrocher les chemises sur les perchas, la grâce de Fernando Cepeda pour faire disparaître les plis des bénards, la main droite de Roberto Domínguez pour l’alegría de la chose et la gauche de José Antonio Campuzano pour se gratter délicatement les fesses.

Una estampa.

L’Antonio Bienvenida du 16 juin 1960, día del Corpus, quand à Las Ventas, il avait tué une corrida l’après-midi et une autre le soir. Pour elle, ce jour d’octobre 2011 «L’harmonie de St Avold » avait joué «Alexandrie, Alexandra», la campana de l’abbatiale avait carillonné «La chenille» et le lendemain, le «Républicain lorrain » avait titré «Un faenón de quiche lorraine et de saucisses blanches».

C’est vous dire le taco qu’elle avait armé !

Alors, après le troisième charroi et la pluche des pommes de terre, fourbue, défaite, épuisée mais heureuse, la voisine d’en face était sortie fumer une cigarette au burladero du volet roulant.

Les yeux perdus dans le vague du soleil se couchant sur l’usine carbochimique de Carling, les lèvres entrouvertes palpitant de satisfaction béate, clone d’une Emma Bovary du 57 se désespérant du tirage du jour du «Keno», j’imagine qu’elle demandait à la Macarena des machines à laver le linge que le lendemain encore il ne pleuve pas…

Patrice Quiot