Mercredi dernier, lors du tentadero chez les Fano, comme relaté sur le site, j’ai rencontré Arnaud Agnel, toujours prêt à venir s’imprégner de toros, d’autant plus que la situation sanitaire l’a éloigné des salles dont les portes restent fermées à double tour. Du jamais vu, avec en outre la cruelle impression de ne pas voir d’issue à ces néfastes conséquences qui plongent tant de profesionnels dans le désarroi.
Pour Arnaud, c’est d’autant plus frustrant que son spectacle sur Jean-Baptiste « Je ne me sens bien au fond que dans des lieux où je ne suis pas à ma place » lui avait déjà réservé quelques triomphes et que d’autres dates étaient en perspective. Mais on va le voir, comme les toreros, le comédien tente d’aguanter au mieux cette situation, tout en espérant des jours meilleurs, évidemment…
« Chez moi, la passion pour la tauromachie est venue presque naturellement du fait de ma naissance. Certes, on peut naitre là-dedans et ne pas être touché par cet environnement, mais en ce qui me concerne, j’ai été plongé dans la marmite quand j’étais petit. A l’adolescence, je me suis posé des questions, c’est un héritage, mais tu questionnes un héritage… jusqu’au moment où j’ai compris que ça faisait partie de mon ADN. Quelque part, c’est constitutif de mon être personnel, mais aussi de celui d’acteur parce que je crois que j’ai fait acteur car je n’avais pas le cran pour faire ce dont je rêvais, à savoir torero !
Ce qui m’attirait dans la corrida, c’était tout d’abord le sens du spectacle, quelque chose de très lié au public, c’est d’ailleurs pour ça que j’aime le théâtre. Transmettre des émotions à un public large, et même s’il y en a qui aiment jouer dans de petites salles, pour moi c’est le contraire, plus il y a de monde et plus ça me plait car ça représente quelque chose de populaire et de fédérateur !
Cet univers que je connais, j’avais envie de le transmettre au plus grand nombre par le prisme de mon art qui est le théâtre, et je voulais toucher autant le public aficionado que les néophytes, voire même les personnes qui sont contre cet univers-là puisque le spectacle que j’ai fait sur Jean-Baptiste peut être vu par tout le monde, que l’on aime la tauromachie ou pas. C’est d’ailleurs très drôle car j’ai plusieurs personnes plutôt anti-corridas qui l’ont vu, qui l’ont adoré et qui ont découvert aussi tout un univers qu’elles ne connaissaient pas ! C’est pour cela que j’ai eu envie de faire ce spectacle, afin de faire connaitre cet environnement et aussi pour me présenter en tant qu’acteur. J’aime bien dire que je suis « torero de mots », ça me plait comme analogie ! Comme les toros qui ont une embestida très particulière, c’est pareil pour chaque texte. C’est à toi, en tant que torero, de toréer les mots de la meilleure des manières. C’est pour ça que pour ce spectacle, je suis seul, comme le torero au milieu de l’arène avec son toro et rien d’autre. Ce qui m’intéressait, c’est bien cette similitude entre la tauromachie et le métier d’acteur.
La première fois que j’ai vu toréer Jean-Baptiste, c’était à Nîmes en 1999 lorsqu’il avait gracié « Tanguisto » et la dernière, vingt ans après, c’était à Arles pour sa despedida, lorsqu’il a indulté « Ingenioso » ! Finalement, les débuts et la fin de Jean-Baptiste ont été marqués par la grâce pendant ces vingt ans. Concernant notre rencontre, en fait, il y a une anecdote que quasiment personne ne connait… Lors du tour de piste après avoir gracié Tanguisto, comme j’avais à l’époque une casquette de l’Olympique de Marseille, je la lui avais lancée pour qu’il la renvoie, sauf que comme lui était à l’époque supporter de l’OM, il l’avait gardée ! J’ai pu la récupérer au final, mais ça n’a pas été sans mal… C’était quelque part le début d’une accroche, puis il y a eu les journées à la Chassagne, je le suivais partout, d’ailleurs je pense que c’est le torero que j’ai vu le plus toréer.
Ce qui me plait aussi chez le professionnel, c’est que c’est un immense travailleur, c’est quelqu’un qui ne triche pas et qui donne tout pour sa passion, son métier. Quand je travaille comme acteur, c’est comme pour les toreros, si tu as envie d’être figura, il faut regarder comment les figuras se préparent. Moi, je dis que quelque part j’ai envie d’être « figura del teatro », donc comment atteindre ce niveau-là et quoi de mieux pour s’en inspirer que d’observer ceux qui y sont arrivés dans leur domaine, à savoir Jean-Baptiste. C’est le travail, le travail, le travail…
Autre élément de la pièce, Yves Charnet qui est à la base de tout. C’est un passionné, mais au-delà de ça, c’est un poète énorme et il n’y a pas beaucoup de gens qui écrivent aussi bien que lui. Ce qui me plaisait dans cette écriture, c’était toute la dimension poétique qu’elle revêtait parce que faire un spectacle sur la tauromachie sous l’angle statistique, c’est bien, mais ça n’a pas grand intérêt. C’est pourquoi je préfère la façon d’écrire de Charnet. En fait, je l’ai connu par le prisme d’un autre de ses écrits, « Dans son regard aux lèvres rouges », alors que je ne savais pas qu’il avait publié un livre sur Jean-Baptiste ! En fait, j’avais fait un premier Facebook littéraire dont le concept est de lire un texte brut pour le donner à entendre. C’est comme ça que j’ai découvert le livre de Charnet, je l’ai trouvé formidable et je me suis alors dit qu’il faudrait faire quelque chose pour ses vingt ans d’alternative…
Au début, j’ai pensé qu’il faudrait que ce soit quelqu’un d’autre que moi, puis je me suis dit que ça faisait des années que j’avais envie de faire quelque chose sur la tauromachie, que je cherchais la poésie, avec en outre Jean-Baptiste que je connaissais. Tout était donc réuni… C’était un défi, un grand spectacle, je me suis finalement dit que j’allais le faire et que comme les toreros, il allait falloir que je mette la jambe !
J’avais très peur, je n’avais rien montré à personne, même pas à mes parents qui ont découvert le spectacle la veille de la représentation ! Il n’y avait qu’Yves Charnet que j’avais invité à Dax lorsque j’avais fini la création, pour une représentation en privé. C’est un passionnant et un passionné, et je ne voulais pas du tout qu’il m’oppresse avec son attente, ses espoirs. Je voulais qu’il voie ça un peu en amont car je savais que sinon, je n’aurais pas pu le gérer. Par ailleurs, je voulais aussi qu’il ait la surprise un peu avant tout le monde et c’était aussi une manière de le remercier…
Au sujet de l’accueil, je tiens à dire qu’il a été énorme à chaque fois ! A Arles, c’était fou. Quand je suis revenu pour saluer, la salle s’est alors mise debout pour une standing-ovation, et forcément, c’était très impressionnant. Et à Nîmes, j’étais très angoissé parce que c’était quelques temps après sa despedida, en janvier l’an dernier, et je me demandais ce que ça pouvait donner en plein hiver. La salle était pleine et à la fin, comme à Arles, les gens étaient debout. Plus généralement, j’ai été très bien accueilli partout et je touche du bois pour qu’il en soit toujours ainsi…
Hélas, est arrivée ensuite cette satanée pandémie qui a représenté un coup très violent. Au premier confinement, j’avais Saint Martin de Crau, Dax et La Rochefoucauld et tout a été arrêté, sans perspective de report. Je ne pouvais pas avoir travaillé pendant deux ans comme un fou, avoir un spectacle fédérateur, et ne pas pouvoir me produire. Au début, ça a été très dur, je me suis beaucoup battu, on est arrivé à reporter St Martin, Dax le sera aussi et il y a un litige avec La Rochefoucauld, avec notamment un changement de municipalité et je ne sais pas si je vais arriver à le reconduire. Ça demande pas mal d’énergie et c’est un peu comme les toros, tu te fais engancher, une fois, puis deux, puis trois, il faut arriver à dire ok, je me calme, je me remets dans le sitio et je torée bien. Mais ce n’est pas forcément ça…
J’ai fait aussi un spectacle numérique que l’on a fait avec des caméras qui te filment, ça ne change strictement rien à ta représentation, et je ne voulais absolument pas d’un micro casque que l’on me proposait ! J’ai donc refusé, arguant que les problèmes techniques, c’était les leurs et pas les miens… Je voulais donc jouer comme d’habitude, sauf qu’il n’y aurait pas de public. Et ça a super bien marché ! Mais au-delà de moi pour prouver que j’existais, c’était surtout un geste artistique pour dire au gouvernement qu’il ne nous empêcherait pas de jouer, qu’il ne nous tuerait pas aussi facilement ! On avait prévu un rendez-vous le 18 décembre, les gens se sont connectés sur Facebook, ça a été largement suivi, avec autour de trois mille vues dans la soirée. De ce point de vue, j’ai un immense respect pour la ville de Marcheprime, une commune jouxtant le Bassin d’Arcachon qui n’a rien de taurin car ça été vraiment super.
Mes projets ? Le problème, c’est que tu ne vois pas le bout de la chose ! Et ça, c’est un vrai problème. Tu ne peux pas te projeter car il faut aussi gérer la désillusion. Je ne dis pas qu’il ne faut plus avoir d’illusion, mais il faut arriver à se ménager. Psychologiquement, c’est très difficile d’arriver à tout gérer, mon gros travail actuellement étant de me maintenir à flot dans ce domaine car je ne sais pas quand ça va redémarrer. Je suis persuadé que ça le sera et qu’il faudra alors être prêt. Mais pour ça, il faut que ce soit physiquement, dans la tête et il faut avoir de la ressource. Le problème, c’est que tout l’environnement est parasitant et négatif, c’est donc très difficile. On verra, on essaie de continuer à se projeter, j’ai toujours des propositions qui sont en discussion, mais c’est toujours « peut-être que »… A l’image de Dax où l’on avait évoqué la période du printemps, peut-être que ce sera plus tard…
Concernant la suite de ma carrière, le lien avec la tauromachie y sera toujours dans le sens où je suis, comme je l’ai dit, torero de mots ! C’est quelque chose qui m’accompagnera toute la vie. Après, est-ce que la thématique de la tauromachie fera partie de mes prestations futures, il est hors de question de m’enfermer dans un créneau. Ce qui m’intéressait dans le livre de Charnet et le personnage de Jean-Baptiste, c’était cette question de destinée et aussi tout un rapport à la paternité. C’est pour ça que Philippe Caubère me fait la voix, c’est mon « papa de théâtre » ! Quelque part, dans ce spectacle, Jean-Baptiste, c’est moi et il y a quelque chose qui va au-delà des simples toros. Il y avait longtemps que je voulais évoquer au théâtre la tauromachie, mais avec Jean-Baptiste, ça a été vraiment un hasard. Je n’avais pas à trouver quoi puis je suis tombé sur le bon texte. En fait, c’est le texte qui a entrainé la volonté de spectacle. Il a fallu que je l’adapte, bien entendu. Comme je le dis, j’ai mis un bâton de dynamite dedans, ça a explosé et j’ai récupéré des morceaux éparpillés que j’ai dû ensuite rassembler. En fait, je considère que l’écriture de Charnet est cubique, comme chez Picasso, et ce que j’ai fait, c’est de remettre une forme ! J’ai découpé le texte et j’ai fait un autre format.
Pour conclure, si demain il y a quelque chose exploitable dans la tauromachie, je le ferai, mais je ne forcerai rien. Ce qui est sûr, c’est que je ne l’abandonnerai jamais. Elle existera toujours, peut-être sous une forme différente. En tout cas, je me battrai toujours pour qu’elle survive et c’est en ce sens que j’ai fait ce spectacle… »
Se battre, visiblement Arnaud connait ça, que ce soit pour défendre sa profession, aujourd’hui paralysée, que la tauromachie, trop souvent malmenée et contestée. Avec sa verve, sa faconde et sa détermination, nul doute aussi que sur nles planches, d’autres fanas de rabo l’attendent… une fois les beaux jours revenus. Que lui souhaiter de plus ? Suerte, torero de mots !!!