L’un du début des années quatre-vingt, le second et le troisième beaucoup, beaucoup plus anciens.
Recuerdo 1
Je ne peux que m’en souvenir.
C’était en 1983.
En septembre.
A quelques jours de mon anniversaire.
Arroyo avait peint l’affiche de la Feria.
La scène : « L’Imperator » à l’apéro de 13 heures. Grand salon, superbe terrasse, somptueux jardin, serveurs en tenue blanche et nœud papillon avec serviette sur le bras droit, serveuses en jupe noire et chemisier blanc.
Des señoritos gominés en jeans et chemisette à 1500 balles, des bimbos aux grosses lèvres et gros nichons, des intellos bavards, quelques homos, des artistes de cinoche et of course, des socialistes barbus, une exposition de peinture taurine, le tout dans une odeur de savonnette et d’eau de toilette.
Champagne et petits fours. Fumée de cigare.
Babil mondain.
Dans un coin du hall, face au vieil ascenseur à cage métallique, j’observe ce bruissement doux où rien ne trouble un ordre public bien établi.
Soudain, l’ascenseur ne descend plus à son rythme de poulies et contrepoids.
Immobiles devant moi, deux jambes de jeans blanc. Pas de martèlement intempestif, pas de sonnerie d’alarme. Rien.
Au bout de dix minutes, je m’approche et m’inquiète de savoir qui est dedans. Pas de réponse. J’informe le réceptionniste qui, après un très long moment, arrive à débloquer la cage.
Livide et sans rien dire, en sort le « Yiyo ».
Comme un zombie.
L’après-midi, il toréait la corrida de Jandilla avec Ojeda y un tercero de cuyo nombre no me acuerdo.
C’était en 1983.
En septembre, pour son ultime apparition à Nîmes.
A quelques jours et à 1206 km de Pozoblanco.
Recuerdo 2
Manuel Álvarez Prieto « El Bala ».
Au tout début des sixties.
Lors de sa présentation de novillero à Nîmes.
Assis sur une chaise, il posa les banderilles courtes en donnant un quiebro.
Au « Lisita », après la novillada, je lui avais serré la main et il m’avait demandé ce qui était arrivé à ma guibole.
Je le lui avais expliqué dans un espagnol de raccroc.
« Lo siento mucho, niño » m’avait-il répondu en me touchant l’épaule.
Le 27 août 1967, à San Sebastián de los Reyes, un toro de Filiberto Sánchez lui mit une cornada de caballo dans la cuisse.
Il resta dans le coma pendant plusieurs jours.
Puis, on l’amputa.
Il revint à Séville avec une jambe orthopédique.
Je ne l’ai jamais revu.
Recuerdo 3.
C’était il y a très, très longtemps.
Un samedi matin devant « Le Cheval Blanc », Dario Moreno en costume de satin rose, fines moustaches au vent, promenait son élégance calamistrée au volant d’une « Cadillac » décapotable blanche.
L’après-midi aux arènes, il applaudissait en se pâmant de bonheur la grâce torera de Paco Camino, jeune matador de toros au cartel avec Aparicio et Ostos devant des toros d’Urquijo.
Le même jour, après la course, à la terrasse de « La Grande Bourse », mon père me montra quelqu’un : Barbu comme un faune, hilare derrière ses lunettes vertes fumées, Ernest Hemingway donnait de terrifiantes bourrades à Don Cristobal Becerra.
Après avoir longtemps managé Carlos Arruza, le vieux dandy ibère apodérait avec une passion égale Diego Puerta et « Los Bomberos Toreros ».
En chapeau noir à bords roulés, costume croisé rayé, œillet rouge à la boutonnière et chaussures bicolores noires et blanches, on l’aurait dit sorti tout droit d’une bande dessinée.
De lui : « Un buen apoderado tiene que ser: diplomático como Talleyrand, psicoanalista como Freud, matemático como Poincaré, dinámico como un Busines y diestro en publicidad ».
A « Jaquito » qui lui disait qu’il allait s’arrimer comme un chien, Don Cristobal répondit : « Tonto ! Deja el burladero de picar arrimarse ! Tu, va con la cabeza ».
Je n’avais que dix ans et demi, mais en ce jour lumineux de Féria et pour la première fois de ma vie, je rentrais dans le mythe.
Datos :
– Eduardo Arroyo, né le 26 février 1937 à Madrid et mort le 14 octobre 2018 dans la même ville.
– José Cubero Sánchez, « El Yiyo », né à Bordeaux le 16 avril 1964, mort à Colmenar Viejo le 30 août 1985.
– Francisco Manuel Ojeda González , « Paco Ojeda », né le 6 octobre 1954 à La Puebla del Río.
– Manuel Álvarez Prieto, « El Bala », 11 /12/1936-Séville ; 8/11/1983-Séville.
– Dario Moreno, de son vrai nom David Arugete, né le 3 avril 1921 à Aydın, (Turquie) et mort le 1er décembre 1968 à Istanbul (Turquie).
– Francisco Camino Sánchez, « Paco Camino », né le 14 décembre 1940 à Camas (Séville).
– Jaime Ostos Carmona, né le 8 avril 1933 à Écija,
– Diego Puerta Diánez, « Diego Puerta », né le 28 mai 1941 à Séville, mort à Séville le 30 novembre 2011.
– Carlos Ruiz Camino Arruza, «Carlos Arruza», né le 17 février 1920 à Mexico, mort le 20 mai 1966 à Toluca (Mexique)
– Ernest Hemingway, né le 21 juillet 1899 à Oak Park (Illinois)/ États-Unis et mort le 2 juillet 1961 à Ketchum (Idaho).
– Cristóbal Becerra : 1896, La Linea de la Conception -1977, Prado del Rey (Cádiz).
– Jacques Brunet « Jaquito » : 26/08/1944 – 13/04/1982.
Patrice Quiot