PATRICE
L’implantation, dès 1878, et le développement de la corrida espagnole à Dax, depuis 1891, fut, au cours de la fin du XIXe siècle une longue tension et parfois violente confrontation entre le pouvoir politique central et les élus locaux soutenus par une population forte de son ancienne tradition des jeux taurins.
On passa successivement, pendant plusieurs années, des circulaires d’interdictions du préfet des Landes (lequel préfet assistait en même temps aux courses données à Mont de Marsan) aux tolérances et autorisations du ministre de l’Intérieur.
Pourtant, le 26 septembre 1894, le ministre de l’Intérieur et président du Conseil Charles Dupuy émit une circulaire enjoignant aux préfets d’interdire les courses de taureaux avec mise à mort, en application de la loi Grammont de 1850 sur la protection des animaux domestiques, et sous la pression de multiples personnalités de la presse, de la littérature, des arts et des sciences.
Passant outre, le 6 octobre, le maire de Dax, Raphaël Milliès-Lacroix, prit délibérément et par provocation un arrêté autorisant ce type de courses.
En effet, après le succès des corridas du mois d’août où s’était même produit le cordouan Rafael Guerra Bejarano, dit Guerrita, l’un des plus grands matadors de son époque, une course supplémentaire était organisée et justifiée en raison » du nombre exceptionnel d’étrangers actuellement dans la station ». Cette dernière, dite hispano-landaise, offrait de plus l’opportunité de donner une course espagnole avec mise à mort à l’espoir landais Félix Robert qui allait recevoir l’alternative le mois suivant à Valencia.
Sur instructions ministérielles, le préfet des Landes réagit donc dès le 9 octobre, en prenant un arrêté interdisant ce type de courses dans le département. De son côté, le ministre de l’Intérieur obtint du président Casimir-Perier un décret révoquant le maire de Dax pour son arrêté illégal.
Lequel maire allégua, pour se justifier, qu’il avait dû « protéger les coutumes paisibles de toute une région » et « défendu le droit des municipalités en matière de spectacles et de police municipale. »
Ladite corrida était prévue le dimanche 14 octobre 1894.
Pour passer outre à l’interdiction, que le préfet entendait faire respecter par la présence de six brigades de gendarmerie à pied et à cheval devant bloquer les accès aux arènes, la corrida fut secrètement avancée dans la matinée, à onze heures ou midi, pour prendre de court les mesures de police qui n’avaient pas encore été prises. Pour le succès de l’entreprise, la course fut également gratuite et libre.
Quelques coups de canon sur les remparts rallièrent les amateurs qui forcèrent l’entrée des arènes et remplirent les gradins
Le torero landais Félix Robert put ainsi travailler à la cape un premier taureau de l’élevage espagnol de Vicente Martínez (Colmenar Viejo). Mais au moment où le picador faisait son entrée, un commissaire de police courageux se précipita dans l’arène pour s’interposer et lui prendre sa pique.
Félix Robert poursuivit quand même à la muleta avant de tenter de porter l’estocade. Sauf qu’après l’échec de deux pinchazos, l’animal fuyant finit par sauter la barrière puis fonça vers la grande porte de l’arène laissée ouverte dans la confusion générale. Après avoir bousculé quelques gendarmes accourus, le taureau se sauva dans les rues, poursuivi par le torero… et la gendarmerie.
Les arènes en bois étant alors situées dans la ville close, au pied des remparts (place actuelle de la Course, en face de la Poste), le taureau se dirigea vers la place de la Fontaine chaude toute proche.
Le désordre de cette corrida se transforma alors en la folle équipée d’une poursuite dans les rues voisines. Devant le danger qui aurait pu surgir, Félix Robert armé d’une nouvelle épée courut derrière le taureau échappé et tous les toreros de la cuadrilla suivirent son exemple. Derrière eux, trottinait le commissaire, pique sur l’épaule, puis suivaient la police locale, une escouade de gendarmes, et les badauds… en présence d’une foule incroyable et dans une ambiance qu’on devine.
Finalement, l’animal blessé fut coincé dans une petite rue pavée de bois allant vers le pont sur l’Adour. Affaibli après quelques passes, il finit par se coucher et y fut alors achevé par un coup de descabello de Paul Nassiet, sobresaliente, de la cuadrilla de Félix Robert.
La rue en question fut rebaptisée rue du Toro pour commémorer l’événement. C’est le nom quelle porte toujours sur le côté de la place Thiers.
Félix Robert et Paul Nassiet furent arrêtés pendant que la foule excitée protestait et menaçait. Aux abords du café Paul, les manifestants se rassemblèrent autour du député Denis, du maire et de Berthelot, du journal la Gironde, prêchant la résistance. Les gendarmes durent rester plusieurs jours dans la ville pour disperser les attroupements.
Libéré, Félix Robert déclara que « tant qu’il y aura des taureaux de combat et des matadors dans les Landes, la lutte entre eux continuera« . (Le Journal -16/10/1894)
L’événement dacquois, relayé par plusieurs journaux nationaux, eut même un retentissement international répercuté par divers quotidiens étrangers, de la Tribune de Genève à The New York Herald qui titra le 13 : « A Sensational Corrida ».
Sources : « Landes en vrac/souvenirs et témoignages du passé et petit patrimoine landais »