PATRICE
Lettre de George Sand à la comtesse Marliani, à Paris.
« Marseille, 5 mars 1839.
Enfin, chère, me voici en France.
Nous avons séjourné huit jours à Barcelone.
Chopin a été bien soigné par la médecine française, bien assisté par l’hospitalité et l’obligeance françaises, mais toujours persécuté et contristé par la bêtise, la juiverie et la grossière mauvaise foi de l’Espagnol.
A tel point que l’aubergiste des « 4 nations » a voulu lui faire payer le lit où il avait dormi sous prétexte qu’il fallait brûler ce lit comme infecté de maladie contagieuse.
Ce trait vous peint l’Espagne d’un bout à l’autre.
Spéculations éternelles sur les souffrances d’autrui avec accompagnement d’impudence et d’injures.
Oh que je hais l’Espagne !
J’en suis sortie comme les anciens à reculons, c’est-à-dire avec toutes les formules de malédiction.
J’en ai secoué la poussière de mes pieds et j’ai fait serment de ne plus jamais parler à un Espagnol de ma vie.
Un mois de plus et nous mourions en Espagne, Chopin et moi.
Lui, de mélancolie et de dégoût, moi de colère et d’indignation.
Ils m’ont blessée dans l’endroit le plus sensible de mon cœur, ils ont percé à coup d’épingles un être souffrant sous mes yeux, jamais je ne leur pardonnerai cela et si j’écris sur eux, ce sera avec du fiel.
Mais que je vous donne des nouvelles de mon malade, car je sais, bonne sœur, que vous vous y intéressez autant que moi. Il est beaucoup, beaucoup mieux, il a supporté très bien trente-six heures de roulis et la traversée du Golfe de Lion qui du reste a été, sauf quelques coups de vents, très heureuse.
Il ne crache plus de sang, il dort bien, tousse peu et surtout il est en France ! Il peut dormir dans un lit que l’on ne brûlera pas pour cela. Il ne voit personne reculer quand il étend la main…
… Les enfants baisent vos belles menottes et moi je vous serre sur mon cœur. »
Datos
George Sand, nom de plume d’Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, par mariage baronne Dudevant, est une romancière, dramaturge, épistolière, critique littéraire et journaliste française, née à Paris le 1er juillet 1804 et morte au château de Nohant-Vic le 8 juin 1876. Elle compte parmi les écrivains les plus prolifiques, avec plus de 70 romans à son actif et 50 volumes d’œuvres diverses dont des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre et des textes politique
Entre George Sand, et Frédéric Chopin, le courant ne passe pas d’emblée. “Elle est antipathique cette Sand. Est-ce bien une femme ? J’arrive à en douter”, déclare Frédéric, le 13 décembre 1836, jour de leur rencontre dans un salon parisien. De son côté, George s’interroge : “Ce M. Chopin, est-ce une jeune fille ?”
Ces premières impressions illustrent la nature de la liaison qu’ils commenceront à entretenir moins de deux ans plus tard.
Patrice Quiot