« Hubiera querido ser torero, pero sólo llegué a Premio Nobel ». (Camilo José Cela).
 
« La corrida est terminée.
 
Les autorités n’ont pas encore quitté le balcon de la mairie et les plus jeunes, ceux qui ne sont pas encore mariés, n’ont pas fini de tremper dans le sang les semelles en alfa de leurs espadrilles. 
 
Les espadrilles imbibées de sang de toro durent une éternité ; d’après ce qu’on dit, quand du sang de toro est mêlé à du sang de torero, les espadrilles deviennent dures comme du fer et ne cassent jamais.
 
Des hommes mûrs, mariés et enfants sur le dos, portent encore la paire d’espadrilles qu’ils ont trempée dans le sang de Chepa del Escorial, ce torero tué par un toro rouge, l’été de l’année de la République, « de cuarenta y tantas camadas sin volver la cabeza ».
 
Les garçons et les filles en deux groupes séparés s’entremêlent sur le bord de la piste en se regardant d’un air bovin, étrange et chaleureux.
 
La fanfare se met à jouer « Suspiros de España» et les filles, comme à un signal, commencent à danser les unes avec les autres.
 
Elles dansent en bougeant les épaules en mesure et en traînant les pieds.
 
Au-dessus de la place s’élève un épais nuage de poussière qui sent le churro, la sueur et le patchouli. 
 
Des garçons plus audacieux brisent les couples de filles ; il y a des moments d’incertitude, qui durent peu de temps, où l’on ne sait pas qui va danser avec qui.
 
Les jeunes garçons dansent la cigarette à la bouche et ne parlent pas ; ils ont l’air perdu, leur casquette à visière dans la main droite, posée sur le dos de la jeune fille.
 
« Tu danses très bien, jeune fille« .
 
La fille sourit.
 
« Non ; Je me laisse aller ».
 
Le garçon fait un effort et revient à l’attaque. Avant, il a regardé les yeux de la fille qui ont fui comme deux lièvres apeurés.
 
« ¿ Cómo se llama usted ?« 
 
« Es usted muy curioso« .
 
Le garçon, bien qu’il reçoive toujours la même réponse, reste pendant quelques instants sans savoir que dire.
 
« No, joven ; no es que sea curioso. »
 
« ¿ Entonces ? »
 
« C’était juste pour vous appeler par votre nom. Vous ne pouvez pas me dire votre nom ?« .
 
La clique a attaqué une valse et le couple continue à converser.
 
« Sí ; ¿Por qué no? Me llamo Paquita, para servirle.« 
 
Un peu gênée de cet aveu, la jeune fille regarde autour d’elle.
 
« Hé, c’est une valse ; ne me tiens pas si fort. »
 
Parfois, et comme pour plaire à tout le monde, la murga joue un fox trot au rythme ancien, rapide et brisé, comme le vol des martinets…
 
… La place grouille du monde des tendidos, des balcones, des voitures et des talanqueras renversées sur le sable comme un chocolat a la española, 
 
On ne peut pas faire un pas, ni même respirer. 
 
Sonne la clochette de la tombola : ¡ A probar suerte… ¡ A diez la tirada !…
 
… Et un mendiant adolescent montre ses jambes à un groupe d’enfants étonnés ».
 
A suivre…
 
Patrice Quiot